Après notre message du 28 mars dernier et comme annoncé à l’issue de notre 126ème Assemblée Plénière tenue à Bondoukou en janvier 2025, nous venons par la présente lettre, inviter essentiellement à la paix et à la stabilité dans notre pays.
Et cela dépend de la manière dont les élections sont préparées et faites.
Notre Lettre Pastorale se veut modestement une contribution pour «une élection présidentielle juste, transparente, inclusive et apaisée en Côte d’Ivoire».
Oui nous voulons nous faire l’écho des «Ivoiriens qui sont en attente d’une élection de qualité organisée par des institutions et des hommes de qualité» (N°3)
D’une telle élection, découlera la paix tant recherchée.
Le documement comporte 72 numéros structurés autour de 3 grandes parties.
Dans un premier temps, nous situons le contexte sociopolitique et juridique; (I) ensuite nous présentons les principes électoraux à observer pour la crédibilité du scrutin (II) et nous terminons par des appels et recommandations pour une élection présidentielle apaisée et réussie. (III)
Dans la première partie, nous encourageons la société civile à plus d’efforts pour répondre plus efficacement à sa mission d’être une force face au pouvoir ou au régime en place. Elle est en définie comme «un ensemble de citoyens sans fonctions politiques officielles, agissant individuellement ou en groupes et dont l’activité est essentiellement apolitique, à but non lucratif et bénévole»
Les acteurs doivent influencer les décisions et les actions politiques.
Nous ne sommes pas encore à ce niveau chez nous, car cette société civile est instrumentalisée. (N°15)
S’agissant du contexte sociopolitique et juridique, il fait apparaître les «problématiques liées à la démographie».
En effet le peuplement de notre pays et la population ont souvent donné lieu à des débats concernant les origines diverses des populations et leur influence sur le jeu politique et l’impact sur la confection de la liste électorale avec in fine l’épineux problème du vote des étrangers en Côte d’Ivoire. (N°16)
Le phénomène de la corruption tient une bonne place malheureusement ici et s’observe dans tous les secteurs de la société. Tout est devenu monnayable, y compris la nationalité. (N°18)
Les cycles de violence
De 1990 à ce jour, aucune élection ne s’est tenue en Côte d’Ivoire sans violences. Durant ces décennies en effet, notre pays a été le théâtre de violences politiques.
Nous donnons ici un aperçu chronologique des évènements marquants de cette période.
– La toute première élection présidentielle après le retour du multipartisme en 1990. Elle a été marquée par les affrontements entre les partisans des différents candidats.
– L’élection présidentielle de 1995 avec le boycott actif intié par le front républicain à savoir le RDR et FPI à l’époque.
– En 1999 et en 2000, il y a eu le coup d’état puis l’élection avec la crise post-électorale qui s’en est suivie.
– La rebellion armée de 2002 avec ses nombreuses conséquences ne peut être omise dans ce cycle de violences. (N°23)
– L’élection présidentielle de 2010:
Considérée comme une étape cruciale pour la sortie de crise, l’élection présidentielle de 2010 a conduit à une crise postélectorale sans précédent. Officiellement l’on parle de 3 000 morts.
La situation a été très critique. La Côte d’Ivoire a vécu une guerre civile. Cette crise est vue comme le prolongement de la violence électorale en Côte d’Ivoire avec un niveau jamais atteint auparavant. (N°24)
– L’élection présidentielle de 2020
Elle n’a pas été épargnée par les violences politiques et intercommunautaires.
La deuxième partie de notre lettre, intitulée «des principes électoraux à observer pour la crédibilité du scrutin et une élection apaisée et réussie» dévoile les leviers qui nous paraissent des pistes qui conduisent, si elles sont empruntées, à la paix.
Il faut observer le principe de précaution qui établit la cohérence entre le droit et la réalité telle qu’observée sur le terrain. (N°28)
Les deux normes principales que sont la liberté et l’égalité sont traditionnellement et universellement sollicitées et sont interdépendants.
L’article 4 de notre constitution le stipule clairement: «nul ne peut être privilégié ou discriminé en raison de sa race, de son ethnie, de son clan, de sa tribu, de sa couleur de peau, de son sexe, de sa région, de son origine sociale, de sa religion ou croyance, de son opinion…» (N°33).
Il est important de relever que les droits et libertés afférents au scrutin, sont réservés aux seuls nationaux. (N° 36)
Tous tendus vers l’élection du 25 octobre 2025
Après tout ce qui peut apparaître comme un échec; après les cycles de violence évoquées chronologiquement depuis 1990, soit plus de 3 décennies, tous les Ivoiriens n’attendent qu’une seule chose: que l’élection présidentielle du 25 octobre 2025, soit totalement différente des précédentes élections présidentielles.
Malgré la peur, l’angoisse, l’incertitude qui sont les sentiments des Ivoiriens en ce moment, le miracle ivoirien peut et doit se produire.
Les conditions de la réalisation de ce miracle sont les caractéristiques suivantes qui doivent accompagner l’élection du président de la Répubmlique
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– Elles doivent être ouvertes. Ici il faut entendre par là que les votes doivent être accessibles et transparents avec des règles claires.
Aucune raison ne doit justifier la mise à l’écart de citoyens d’exercer leur droit de vote ; encore moins un candidat de solliciter le suffrage de ses concitoyens.
Une élection ouverte est celle dans laquelle les partis politiques, les candidats et les électeurs font preuve d’une réelle adhésion au suffrage universel. (N° 41)
– Elles doivent être inclusives: Electeurs et candidats doivent être admis dans le cercle du jeu électoral. A côté de la loi, la réalité sociopolitique du pays concerné doit être prise en compte, pour éviter des situations explosives. C’est bien le cas de notre pays en ce moment. (N° 41)
– Elles doivent être transparentes: C’est l’absence d’équivoque. Le jeu doit être clair; les règles établies connues de tous. Cette transparence doit prévaloir tout le long du processus électoral. (N° 42)
– Elles doivent être crédibles: La crédibilité désigne une élection débarassée de toute suspiscion. Elle donne de constater la régularité des différentes étapes ayant jalonné le processus électoral.(N° 45)
– Elles doivent être apaisées: C’est-à-dire qu’elles doivent se dérouler dans un climat de paix. Ce qui, faut le reconnaître n’a pas été le cas en Côte d’Ivoire depuis 1990, comme déjà évoqué.
Election présidentielle de 2025: respectueuse des principes et des normes en Côte d’Ivoire.
Aujourd’hui, à quelques 3 mois de l’échéance du 25 octobre 2025, l’atmosphère est délétère; des crispations s’observent et cela inquiète et ne met pas à l’abri des violences électorales que nous condamnons. (N° 51)
Pour éviter à la Côte d’Ivoire une autre élection faite de violences, nous Archevêques et Evêques de CI, dans la troisième et dernière partie de notre lettre, proposons quelques remèdes pour une élection présidentielle apaisée et réussie; et ce, à travers les appels et les recommanandations qui suivent (III).
Les Appels (N° 52 à 58 inclus)
« Dieu est charité et celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu et Dieu en lui… La crainte n’est pas dans la charité, mais la parfaite charité qui congédie la crainte puisque la crainte contient un châtiment… Si quelqu’un dit « j’aime Dieu » et qu’il hait son frère, « c’est un menteur » (1Jn 4,20). Nous avons reçu de Dieu ce commandement que celui qui aime Dieu aime aussi son frère ». C’est au nom de l’Amour de Dieu et des hommes que Nous, vos frères Archevêques et Évêques, renouvelons notre proximité spirituelle, morale et physique à toute la population de la société ivoirienne, à travers la présente lettre.
L’Église en Côte d’Ivoire a une vision synodale qui la décline comme « une église-communion-autonome au service de tous » et du développement intégral de l’homme à la lumière de l’évangile. Par conséquent, nous ne saurions demeurer indifférents à tout ce qui se passe en Côte d’Ivoire. Nous interpellons et restons favorables à tout ce qui devrait militer en faveur d’une société apaisée et d’une fraternité élargie et toujours ouverte et respectueuse de la dignité et des droits de la personne humaine. Aussi, nous sentons-nous interpellés par les discours, les actes et même le silence qui annoncent une ambiance susceptible d’impacter négativement la période électorale que nous abordons maintenant.
Cette ambiance délétère est porteuse d’incertitudes, d’angoisses, de craintes au sein des populations. Notre engagement spirituel et moral qui consiste à étendre le champ d’une communauté fraternelle par la force de l’Amour nous fait obligation d’appeler au partage, à la tolérance, à la justice et à la paix. Car, le nouvel ordre politique et économique qui s’installe dans le monde exige, pour nos pays déjà fragilisés par de nombreux faits d’existence, que nous soyons fraternellement soudés pour mieux en atténuer les effets. Dans cette perceptive, rien dans nos paroles et rien dans nos actes ne devrait perturber le sens chrétien de notre fraternité, de notre charité et de la paix sociale qui en découle.
Nous sommes donc invités, en cette période sensible marquée par l’élection présidentielle d’Octobre 2025, à œuvrer pour que ces idéaux se réalisent. Nous devons éviter de nous adonner aux calomnies et aux diffamations. En revanche, nous devons nous consacrer, en âme et conscience, à entretenir ce qui nous unit, à protéger ce qui nous appartient en commun, et, dans le même mouvement de pensée, à nous éloigner de ce qui sent la haine, la violence, la guerre et à préserver la sacralité, l’inviolabilité et la dignité de la personne humaine. Ainsi dans le même élan, l’apôtre Paul nous interpelle-t-il en ces termes : « Ayez un même amour, un même cœur ; recherchez l’unité ; ne faites rien par rivalité, rien par gloriole, mais avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous. Que chacun ne regarde pas à soi seulement, mais aussi aux autres » (Ph 2,2b-4).
En mettant beaucoup de soin dans les différents aspects de l’altérité et surtout dans l’amour du prochain, nous sommes assurés que les jours à venir nous ouvriront une nouvelle ère qui nous incline au renforcement de nos liens fraternels qui ne réclament que les bienfaits de la démocratie. Il faut se garder de réduire la démocratie à sa dimension quantitative et statistique ; elle repose sur des textes, des valeurs, des consensus, dans un environnement aseptisé. Telle apparait sa dimension qualitative qui appelle l’existence des Institutions de la République de Côte d’Ivoire chargées de trancher, de protéger, de conseiller, de contrôler, d’arbitrer, d’apaiser et de concilier sur la base des règles, des principes et des lois qui ne demandent qu’à être partagés et appliqués. Les fonctions des institutions telles qu’exprimées ici traduisent un impératif éthique, moral et social. Ces institutions ainsi identifiées exigent des hommes et des femmes qui les animent qu’ils aient des qualités intrinsèques qui les maintiennent à l’abri des influences politiques, ethniques, économiques et religieuses.
On a besoin de mieux connaître ces institutions pour ne pas se méprendre sur le parcours individuel et collectif de la liberté et de l’égalité, notamment, dans le cadre de ce qui nous intéresse ici, à savoir les jeux électoraux, un véritable baromètre social dans un système pluripartiste. Ce que nous devons faire, c’est de nous familiariser avec les jeux électoraux en insistant sur les meilleurs outils, instruments et mécanismes de renforcement des capacités ou d’un apprentissage indispensable. Car, figurer, par exemple, sur une liste électorale et participer effectivement au vote, marque, pour chacun de nous, la pleine affirmation de sa citoyenneté ainsi que la fierté de participer à la vie de la nation par le choix des gouvernants. À ce propos, l’Église enseigne, d’une part, que « la participation à la vie communautaire […] est un des piliers de toute société démocratique » (Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, n° 190), et d’autre part que : « Tous les citoyens doivent être conscients de leur droit et de leur devoir de participer à la vie publique » (Gaudium et Spes, n° 75).
C’est à ce titre et à bien d’autres que la période de la préparation de l’élection présidentielle de 2025 est considérée comme une période capitale au regard des enjeux qui la caractérisent. En pensant aux élections présidentielles passées depuis 1995 jusqu’à celles récentes de 2020, la question qu’on doit se poser est la suivante : Qu’avons-nous à faire, ensemble, pour éviter qu’il arrive à notre pays ce que personne ne peut lui souhaiter ? La période proprement électorale, quoiqu’intervenant, de toute évidence, avant le vote, demeure très importante sur le double plan quantitatif et qualitatif. D’abord, elle invite à des actes nombreux et diversifiés à accomplir pour garantir la sincérité du scrutin. Ensuite, elle fait appel à divers aspects techniques, juridiques et politiques. Bref, cette période préparatoire de l’élection présidentielle est très sensible parce qu’elle est révélatrice des signes de crispation. Ces signes sont eux-mêmes annonciateurs de crises profondes lorsque toutes les opérations préliminaires ne réservent aucune place à l’idée d’un dialogue politique porteur de consensus.
Au regard de ces multiples constats, il importe de mettre tous les atouts et tous les soins du bon côté pour éviter les faits susceptibles d’affecter le jeu électoral à venir. Nous pensons, à quelques points de crispation, qu’il importe de traiter avec la pleine conscience et pour la qualité de l’élection présidentielle et pour la préservation de la paix sociale. Il s’agit, principalement, d’une meilleure organisation de l’électorat concrétisée par l’établissement de la liste électorale (1), l’éligibilité à l’élection à la présidence de la République (2) ; la commission en charge de l’élection (3), de la prévoyance de la violence et de la nécessité d’une culture de la paix (4).
Sur ces points, quelles sont nos recommandations?
Les Recommandations (N° 59 à 68)
Nous constatons qu’il y a, jusqu’à ce jour, absence de consensus sur la liste électorale définie, comme étant le répertoire, par ordre alphabétique des électeurs. Elle présente, à ce titre, de multiples utilités : par exemple, déterminer qui est électeur, vérifier au moment du scrutin si les individus qui se présentent sont en droit de voter ; elle détermine le nombre des électeurs et, par-là, décide du vote. Sa mise à jour régulière, selon la loi, permet d’y ajouter, outre ceux qui ont droit d’y figurer, les « nouveaux majeurs » ; de retirer ceux qui n’ont pas le droit d’y figurer. Le suffrage étant universel (Article 52 de la Constitution de 2016), tous les citoyens doivent être mis en situation de participer effectivement au vote.
Dans certains pays, l’inscription sur la liste électorale se fait automatiquement et régulièrement. Dans d’autres pays, en revanche, c’est à la demande de l’administration, comme c’est le cas de la Côte d’Ivoire, que les individus sont invités à effectuer un certain nombre de démarches pour réaliser une liste électorale, par exemple : faire le déplacement vers un lieu d’enrôlement, avoir une carte d’identité, établir et fournir un certificat de résidence, etc. se faire enrôler effectivement. En effet, le code électoral dispose :
« Tout Ivoirien remplissant les conditions pour être électeur peut s’inscrire sur la liste électorale de la circonscription électorale de son choix à condition d’y avoir son domicile ou sa résidence ou des intérêts économiques ou sociaux » (Article 9 de l’Ordonnance N° 2020-356 du 8 octobre 2020 portant révision du code électoral).
Parmi les différentes considérations attachées à la liste électorale, il convient d’en rappeler trois :
La première considération est de faire en sorte que le plus grand nombre de personnes en droit de voter figurent effectivement sur la liste électorale pour une plus grande légitimation du candidat élu.
À titre d’illustration, la Côte d’Ivoire qui compte 29 389 150 millions habitants n’a que 8 761 348 millions d’électeurs inscrits sur la liste électorale selon les estimations de la CEI avant la Révision de la Liste Électorale de 2025. Quelles dispositions faut-il prendre pour accroître le nombre des inscrits sur la liste électorale pour respecter le caractère universel du suffrage. Au Ghana, un pays voisin, où la population s’élève à 34 876 683 d’habitants, on a 18,7 millions d’électeurs inscrits sur la liste électorale. La Commission Électorale ghanéenne, qui tient au caractère universel du suffrage, a pris soin d’engager une politique d’inscription continue sur la liste électorale depuis 2022 pour des élections prévues en 2024.
Cette approche à un double avantage à savoir l’inscription continue pour avoir un grand nombre d’électeurs, et le contrôle subséquent des listes électorales.
La seconde considération fait état d’une idée d’appropriation de la citoyenneté et la volonté d’un individu de participer à la vie de la nation. D’où vient-il donc qu’il existe des malentendus alors que l’Administration électorale, y compris le Gouvernement, a intérêt à établir une bonne liste électorale, condition primordiale d’une élection réussie ou perçue comme telle ?
La troisième considération tient dans la complétude et la sincérité de la liste électorale qui exige que des personnes qui remplissent les conditions d’y figurer ne se sentent pas exclues abusivement ; et que personne ne doit figurer sur cette liste en violation de la loi.
Les partis politiques ou groupements politiques et tous les organismes intéressés auxquels la Constitution confie la mission d’assurer l’expression du suffrage, sous-entendu, de formation des citoyens, de diffusion des idéaux démocratiques et de mobilisation des citoyens, ont tous intérêt, qu’ils soient au pouvoir ou par la participation du plus grand nombre de citoyens dans l’opposition, à voir notre démocratie réussir (Article 25 de la Constitution de 2016). L’élection ne doit donc pas être une occasion de participation de quelques citoyens auxquels on accorde le privilège de figurer sur la liste électorale alors que d’autres qui le méritent tout autant sont victimes d’exclusion.
Devrait-on attendre le jour du vote pour demander à ceux qui ne figurent pas sur la liste électorale de pouvoir voter avec une pièce quelconque indiquée par les autorités ?
Et pourtant des solutions juridiques et administratives existent pour aboutir à l’établissement d’une liste électorale complète, sincère et crédible.
La prévoyance des conflits électoraux commence sur le problème crucial de la fiabilité de la liste électorale. Comment parvenir à établir une liste électorale consensuelle pendant que les acteurs politiques s’entredéchirent ?
Nous, Archevêques et Évêques Catholiques de Côte d’Ivoire, invitons les acteurs majeurs reconnus par la Constitution à œuvrer à l’avancement de la démocratie en Côte d’Ivoire : que le gouvernement, la Commission Électorale Indépendante, les partis politiques, les organisations de la société civile (Article 26 de la Constitution) s’impliquent dans la réflexion et l’action en vue de trouver des solutions paisibles et consensuelles à l’établissement de la liste électorale.
L’éligibilité à l’élection à la Présidence de la République
À ce jour, les organismes en charge de l’élection présidentielle d’octobre 2025 n’ont établi aucune liste des candidats à l’élection présidentielle. Cependant, des contestations violentes s’expriment déjà au sujet de certaines personnalités susceptibles ou désireuses d’être candidates. Que ce soit le candidat potentiel du parti au pouvoir, que ce soit ceux des partis de l’opposition, le problème de leur éligibilité est ouvertement posé et alimente des chroniques de toutes sortes. Tout cela risque de constituer une cause de déflagration sociale et de conflits électoraux.
La question de l’éligibilité est très problématique et politiquement sensible en Côte d’Ivoire surtout pour les personnalités de grande influence politique. Par le passé, pour ces personnalités politiques, des dérogations ont dû être faites par le moyen d’arrangements politiques consécutifs à la crise de 2002 ou alors par une interprétation extensible de l’éligibilité par le juge constitutionnel en 2015.
Comment résoudre alors l’épineuse question de l’éligibilité des uns et des autres, de façon consensuelle ?
Pour l’élection à venir, il importe de prendre des dispositions pour prévenir tout risque de crise électorale ou post-électorale liée à cette situation.
Rappelons que dans le passé, et cela en rapport avec l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, des solutions ont pu être trouvées à travers des arrangements, par une approche qui permet de prévenir des contentieux inépuisables.
Nous, Archevêques et Évêques Catholiques de Côte d’Ivoire, invitons les organismes en charge des élections et les acteurs politiques à aborder les choses en tenant compte du bon sens politique dans le contexte actuel, en privilégiant le recours à des arrangements. On envisagera ainsi des élections inclusives et, par conséquent, apaisées. En la matière, il y a, certes, les règles juridiques, mais il y a aussi le bon sens politique.
Suite au coup d’État intervenu en décembre 1999, le pays s’est doté d’un organisme indépendant d’organisation des élections (CNE). Il était attendu de sa part, l’organisation d’élection dans les conditions d’objectivité, de compétence et d’impartialité. La CEI qui lui a succédé s’est dotée des mêmes attributions tout en étant une structure permanente.
À la pratique, des critiques nombreuses sont faites à cette structure et à ses dirigeants. On lui reproche, notamment, d’être :
Déséquilibrée, en faveur de l’exécutif et donc du parti au pouvoir (La Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples se prononçant en 2016 sur la composition de la CEI avait ouvertement mis en lumière ce déséquilibre). Cette appréciation négative est relativement ancienne ; mais le problème reste posé aujourd’hui encore par les partis d’opposition.
Sous influence politique, en raison de sa composition dominée aussi bien par les partis politiques que par les organismes gouvernementaux (Présidence, Ministères, Assemblée Nationale, Sénat).
Peu professionnelle en raison des manquements constatés lors des opérations électorales. : liste électorale truffée d’irrégularités, absence de matériels dans certains bureaux éloignés, bureaux de vote éloignés des lieux de résidence des votants, etc. Ces griefs peuvent avoir des effets sur l’efficacité même de l’organisme.
Nous, Archevêques et Évêques Catholiques de Côte d’Ivoire, invitons les partis et groupements politiques et le Gouvernement à soutenir et à rendre possible l’idée d’une structure pleinement indépendante et professionnelle.
Tout le monde appelle à l’organisation d’une élection présidentielle apaisée. Tout le monde demande des prières pour des élections apaisées dans les églises, temples et mosquées ; car personne ne veut la violence. Il est important de soutenir, encourager et appuyer cette posture de bon sens.
La paix comme le bien le plus précieux mérite d’être cultivée dans tous les actes quotidiens des Ivoiriens et protégée comme la prunelle de leurs yeux. Elle est la condition d’une vie sociale normale. Chacun doit s’engager à la promouvoir, particulièrement en cette période de l’élection présidentielle. « En effet, qui veut aimer la vie et voir des jours heureux doit garder sa langue du mal et ses lèvres des paroles trompeuses, se détourner du mal et faire le bien, rechercher la paix et la poursuivre » (1P 3,10-11).
Nous, Archevêques et Évêques Catholiques de Côte d’Ivoire, recommandons vivement que tout ce que les acteurs politiques entreprennent soit en faveur de la paix sociale et de la stabilité. Aussi prions-nous Dieu afin que l’élection présidentielle à venir, soit totalement et positivement différente de toutes les élections passées, et nous apporte la paix, la stabilité et le développement à visage humain pour tous.
Nous invitons instamment le gouvernement, la CEI, les partis politiques, la chambre des Rois et chefs traditionnels, les responsables religieux, les femmes, les jeunes, la société civile dans toutes ses composantes, les observateurs nationaux et internationaux et tous les citoyens épris de paix, à :
Œuvrer en synergie pour vivre l’expérience d’une élection présidentielle pacifique en Côte d’Ivoire. Pour une fois, toute la Côte d’Ivoire doit être en mesure de s’approprier de bout en bout et dans la paix l’élection de ses gouvernants. Le vainqueur de l’élection présidentielle apaisée pourra ainsi recueillir la légitimité et le respect de toute la nation ivoirienne. Ce qui est de nature à faire la promotion de la gouvernance apaisée.
Œuvrer pour la promotion de la culture de la Paix, une expression née à Yamoussoukro et qui a un lien très fort avec les objectifs de l’UNESCO visant à bâtir les défenses de la paix dans l’esprit et les cœurs des hommes et des femmes. La paix doit se construire progressivement et durablement par tous les fils et filles de ce pays comme ce que l’on fait pour une plante en raison de sa fragilité, et comme ce que l’on fait pour une divinité en raison de sa sacralité. La culture de la paix est au fondement du développement auquel il permet de donner sens. C’est ce que dit Paul VI dans sa Lettre encyclique Populorum progressio : « La paix ne se réduit pas à une absence de guerre, fruit de l’équilibre toujours précaire des forces. Elle se construit jour après jour, dans la poursuite d’un ordre voulu de Dieu, qui comporte une justice plus parfaite entre les hommes » (n°76).
Conclusion (N° 69 à 72)
Par de-là les faits, les paroles et les évènements évoqués dans cette lettre, et qui ont marqué, de façon moins heureuse, la vie des populations de notre pays, nous sommes en prière afin que Dieu nous dispose à davantage de sagesse. Nous voulons sortir d’un tableau moins glorieux de la vie sociopolitique où l’on ne voit que ce qui concourt à altérer l’harmonie des populations. Nos prières à Dieu doivent nous présenter un nouveau tableau dans lequel, les élections à venir contribuent à consolider la réconciliation, la fraternité, l’amour, la liberté et la paix sociale.
Convaincus des avantages qu’on peut tirer de la démocratie bien comprise et bien pratiquée sur la base des normes et des principes, la société pourra se débarrasser de la peur, des craintes et des inquiétudes souvent liées aux élections en Côte d’Ivoire.
Nous osons espérer que pour mieux répondre aux attentes des populations, l’élection présidentielle d’Octobre 2025 sera totalement et positivement différente des élections présidentielles précédentes. Pour que notre démocratie, ponctuée par des élections régulières, ne présente plus aucun caractère clivant et négatif, il y a des efforts que nous sommes capables de faire.
Ces efforts participent du principe de précaution politique, qui met en bonne place le dialogue politique porteur de consensus dynamique. D’où l’intérêt de quelques principes de conduite morale et scripturaire enseignés qu’il convient d’observer en cette période électorale :
La règle d’or (de la réciprocité) : « Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c’est la Loi et les Prophètes » (Mt 7,12). Cette règle de la réciprocité énoncée par le Christ est bien connue sous diverses formes, dans les civilisations antiques, l’Ancien Testament (Tb 4,15), le judaïsme rabbinique (Talmud) et le Nouveau Testament (Lc 6,31 ; Rm 13,10). Elle prône la délicatesse, la tempérance et la charité dans les relations interpersonnelles. Encore aujourd’hui, elle vaut son pesant d’or, surtout en des moments cruciaux et délicats comme celui de la période électorale où ce qui est dit ou fait est souvent motivé par des intérêts narcissiques, égocentriques, et partisans, et ne tient nullement compte des répercussions négatives et néfastes sur l’autre. Cette règle d’or invite chacun à s’interroger : accepterais-je volontiers, que soit dit de moi ce que je dis de l’autre ? supporterais-je sans réagir qu’on me fasse ce que je fais moi-même aux autres ?
Le Principe d’universalité demande ceci : « agis toujours de façon que tu puisses vouloir que la maxime de ton action devienne une loi universelle ». La loi s’impose à tout homme. Il suffit donc, pour savoir si un principe d’action est conforme à la loi morale, de réfléchir à ce qui arriverait si ce principe était universellement admis. Ce que tu appliques ou fais appliquer à autrui, aujourd’hui en étant au pouvoir, peux-tu accepter qu’on te l’applique quand tu ne seras pas au pouvoir ? Ce qui explique que dans les pays démocratiques la perspective de l’alternance politique constitue une sagesse de gouvernance.
Le Principe du respect de l’Homme enseigne : « agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps, comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ». L’être humain est un être de dignité dont la valeur est absolue et non relative. L’homme ne doit pas être traité comme une marchandise à travers l’achat de conscience ou comme agent de violence en période électorale. En un mot, on ne saurait faire d’une volonté humaine le simple moyen d’un avantage personnel, même pas pour prendre ou conserver le pouvoir.
Le Principe d’autonomie nous rappelle ceci : « agis toujours comme si tu étais législateur en même temps que sujet ». La démocratie exige que le citoyen soit à la fois l’auteur de la loi directement ou indirectement, et celui à qui cette loi s’applique. En d’autres termes, la moralité politique consiste, non pas simplement à exécuter la loi, mais à la vouloir, en sorte qu’on soit son propre législateur et non pas seulement un docile observateur. L’élection présidentielle offre l’occasion de cette affirmation.
En somme, la démocratie en Côte d’Ivoire doit se faire par tous les citoyens et citoyennes ; elle exige de chacun d’eux un engagement libre, sincère et effectif.
Comme nous aurions aimé que nos gouvernants entendent St. Óscar Arnulfo Romero Galdámez, Archevêque de San Salvador (1917–1980), martyr de la paix pour son peuple : « La paix n’est pas le produit de la terreur ou de la peur. La paix n’est pas le silence des cimetières. La paix n’est pas le résultat silencieux d’une répression violente. La paix est la contribution généreuse et tranquille de tous au bien de tous. La paix est dynamisme. La paix est générosité. C’est un droit et c’est un devoir » !
Donné à Abidjan, au siège de la CECCI, le 29 juillet 2025.


