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LES DEFIS DE LA FOI EN AFRIQUE DE L’OUEST

ET L’ENGAGEMENT DU FIDELE LAÏC DU CHRIST

Introduction

Après la conclusion du Concile Vatican II, un grand théologien, Romano Guardini, s’exprimait en ces termes :

« Un événement de grande portée vient de se produire. L’Eglise s’éveille dans les âmes ».

Il en va du mystère de l’Eglise comme de celui de la communion trinitaire dont le projet est d’impacter les âmes pour les aider à constituer, sur la terre, la vie du ciel et en reproduire toutes les valeurs pour la vie du monde : l’Amour, la vérité, la justesse, la justice et la paix. Telle est d’ailleurs la mission que Jésus, grand médiateur entre Dieu et les hommes, confia à l’Eglise quand il déclarait : « Tout pouvoir m’a été donné sur la terre comme au ciel. Allons donc. De toutes les Nations, faites des disciples ». Par ailleurs, il donna le contenu de cette mission aux disciples en spécifiant : « Soyez saints comme votre Père céleste est saint » (…). « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde ». La mission du disciple d’hier n’est pas différente de celle du disciple d’aujourd’hui : Etre lumière en menant une vie sainte et donner la lumière en faisant des saints pour Dieu. En cela, chaque membre de l’Eglise a sa responsabilité à assumer. Celle des fidèles laïcs du Christ de l’Afrique de l’Ouest n’est pas des moindres au regard des défis qui sont les leurs. Après les avoir évoqués, on rappellera la part du pasteur et la participation du laïc.  

  1. Les défis de la foi en Afrique de l’Ouest  

Aujourd’hui, les défis de la foi sont nombreux. Mais on peut se réduire aux plus importants en parlant du syncrétisme, de l’obscurantisme, du sectarisme, de la franc-maçonnerie et de la nouvelle éthique mondiale, et plus récemment des systèmes politiques caractérisés par la mauvaise gouvernance et le refus flagrant d’alternance au pouvoir pourtant consacrée par les textes constitutionnels.

La tâche évangélisatrice, portée en grande partie par et les Pères de la Sociétés des Missions Africaines, les Pères Blancs et autres Instituts missionnaires non moins négligeables, avait pour but de convertir la culture africaine à la Foi au Christ pour que, comme l’affirme le pape Benoît XVI, la culture devienne une tradition de Foi. A plusieurs années de distance et à l’épreuve du temps, ce but n’est pas atteint puisque le syncrétisme fait toujours parler de lui. Il se manifeste par un semblant de fidélité à la foi chrétienne et un ancrage toujours renouvelé dans les pratiques ancestrales. Cela révèle un besoin et une inquiétude. Le besoin est celui de l’urgence de l’inculturation pour que l’Africain célèbre le Christ à partir de sa propre culture. L’inquiétude est, par contre, l’attachement continu à des pratiques inconciliables avec la foi chrétienne. L’une d’elles est aussi l’obscurantisme.

Parce qu’il n’est pas encore résolument converti au Christ et parce qu’il pense que le salut peut provenir des divinités ou déités, le fidèle laïc n’hésite pas à y faire recours pour résoudre ses problèmes existentiels, lorsque cela s’impose comme une épreuve à surmonter. En cela, il utilise plusieurs recettes mystiques : les gris-gris qui protègent, les gris-gris qui nuisent et les gris-gris qui révèlent le sort et la destinée, les gris-gris qui donnent le pouvoir et la richesse. Dans l’usage de ces recettes, une seule préoccupation apparaît : le salut. C’est la recherche de ce salut devant les menaces existentielles qui pousse toujours le fidèle laïc à se tourner vers les sectes qui en semblent pourvoyeuses.

Les sectes bénéficient, en effet, d’une bonne presse en Afrique occidentale. On comprend pourquoi elles prennent du terrain à travers une diffusion et une acuité prosélytique auxquelles il est difficile de résister. A part la promotion d’une religiosité plus dynamisante, plus centrée sur la Parole de Dieu, elles se proposent d’aider l’africain à lutter contre la sorcellerie et les problèmes quotidiens qui lui enlèvent le sommeil. Parmi ces problèmes, on peut aussi parler ici des besoins matériels. A ce sujet, l’entrée dans la franc-maçonnerie apparaît aussi comme une réponse immédiatement satisfaisante.

De plus en plus, on en constate l’incursion dans la gouvernance politique, dans les sphères étatiques et les milieux financiers, universitaires et sanitaires. L’entrée dans la franc-maçonnerie est présentée comme une condition pour accéder à des postes de responsabilité et pour avoir l’argent facile. Les jeunes, épris de promotion sociale, s’y engouffrent. Quand ils se rendent compte de sa dangerosité, il est déjà tard. Et pourtant, ils peuvent se réaliser sans adonner à ses orientations idéologiques qui finissent par les perdre. Le grand problème que pose cette proximité est l’ignorance à se réaliser par la foi et l’amour de Dieu, le travail honnêtement et fidèlement bien fait, si petit qu’il soit.

Le Fidèle laïc de l’Afrique Occidentale n’a pas encore découvert et totalement convaincu de la foi authentique à toute épreuve et la force du travail créateur et libérateur. Il attend que la manne tombe du ciel. Chez les jeunes, il y a un réel problème de créativité et d’initiatives librement assumées. On comprend pourquoi le développement tard à advenir. Ce qui donne crédibilité au questionnement d’Axelle Kabu : « Et si l’Afrique refuse le développement » ? Il y a ici un défi important à relever. Un autre est celui de la nouvelle éthique mondiale.

Cette éthique est la conséquence du refus de Dieu et de l’anthropologie fondamentale qui honore la vérité de l’amour, la nature de l’homme, du mariage, de la famille et de la procréation. Les figures qui émergent aujourd’hui sont surtout celles de la permissivité affective, de l’homosexualité, des unions libres, des familles sentimentales, de l’union conjugale sans procréation ou de la procréation sans union. Toutes sont présentées comme l’expression des droits de l’homme, appelés à être reconnus au nom de la démocratie et des valeurs universelles. Les chefs d’Etats africains sont sommés d’y être ouverts pour les traduire dans les systèmes éducatifs. Ils y sont aidés par l’octroi de mannes financières considérables d’origines douteuses ou peu crédibles. Ils y résistent difficilement ou presque pas. Ce qui fait que l’éducation des jeunes est prise en otage par des idéologies qui détruisent les valeurs naturelles et endogènes dont ils ont besoin pour assurer l’humain intégral dans leur être.

Au regard de ces défis auxquels peuvent s’ajouter bien d’autres et compte tenu de la particularité des contextes, la pastorale doit être inventive, rapidement actée courageuse et participative.

  • L’importance d’une pastorale inventive

La pastorale qui semble urgente aujourd’hui est celle de la culture de la foi authentique, de l’inculturation, du développement, de la famille et de l’éducation.

Le fidèle laïc se tourne vite vers d’autres religiosités, car sa foi n’est pas solide et stable. Dans ce contexte, la mission du pasteur est de lui faire rencontrer vraiment le Christ pour qu’il puisse le connaître, l’aimer et cheminer avec lui, faudrait-il encore que le pasteur lui-même en soit convaincu et en témoigne avec foi et sans ambages. Cela va au-delà de la simple catéchèse. Le laïc d’aujourd’hui a besoin d’une école de théologie et d’une formation continue comme lieux d’approfondissement de sa foi. Au Bénin, la Conférence Episcopale essaie de répondre à ce besoin. Il faudra qu’il soit pris en compte partout en Afrique de l’Ouest. A cette prise en compte première, on doit ajouter l’inculturation.

Si la foi est donnée, elle a besoin d’un cadre contextuel congénital pour s’exprimer. C’est la culture. On doit aider le fidèle à valoriser les éléments culturels qui sont en harmonie avec sa croyance chrétienne pour qu’il puisse avoir une foi priée, dignement célébrée sans folklore et vécue à partir de ses richesses endogènes. En cela, il faudra faire un tri pour que l’ivraie ne se mêle pas au blé. Si ce travail a déjà commencé, il mérite d’être poursuivi au-delà de la simple ritualité. Ici, il conviendra surtout de recentrer la vie des fidèles laïcs sur la Parole de Dieu, source et ressource de leurs missions de vie. Ce qui doit aussi être encouragé est le développement comme la conséquence directe de la foi.

Le développement est la prise en compte de l’ordre divin donné à l’homme depuis la création : celle de s’occuper de la terre pour en faire le lieu de son épanouissement (Cf. Gn 1,15). On ne peut avoir la foi sans l’honorer. La foi sans les œuvres meurt.  Cela demande de la formation, de l’engagement et des initiatives concrètes. Mais ici, le pasteur aidera à avoir une autre idée du développement. Il ne s’arrime pas au seul crédo économique, comme le pense l’Occident. Il faut éviter les erreurs des autres. Le développement dont le fidèle laïc a besoin est un développement endogène, intégral, solidaire et durable, un développement scientifique et humain. Un développement qui prend comme facteur principal et le but incontournable l’ÊTRE HUMAIN. Un développementCentré sur les valeurs endogènes, il doit assumer les biens du corps, de l’esprit et de l’âme, amener une richesse partagée et garantir des biens pour les générations futures. Le pasteur africain est déjà dans cette mouvance. Mais des initiatives sont encore attendues. Cela n’est pourtant pas possible sans porter la priorité sur la famille et l’éducation.

Au moment où la famille est menacée et attaquée en Afrique, il convient que le pasteur aide le fidèle laïc à la protéger et à réaliser sa mission de société naturelle, d’Eglise domestique, d’animation des solidarités sociales et d’assurance de la culture de la vie. En cela, la pastorale de la famille et de la vie doit être prioritaire, avec une attention particulière sur les couples humains, l’éducation des enfants et la potentialisation des jeunes. Tout cela aidera à former une armure que la nouvelle éthique mondiale ne pourra pas si facilement désagréger. Au Bénin, ces pratiques sont désormais encadrées par une charte nationale et traduite par l’éducation à l’affectivité dans les milieux scolaires, la catéchèse de la vie sur les paroisses, la préparation au mariage et l’école des parents. Ces initiatives, actées par la Conférence Episcopale, méritent d’être poursuivies et approfondies partout pour la consolidation du cellule familiale et bien de la dignité et le respect de la vie humaine.

Tout cela montre que le Pasteur fait sa part et doit l’assumer davantage. Mais s’il l’assume, il convient que le fidèle laïc y participe activement.

  • La participation du fidèle laïc du Christ

Pour une évaluation rapide de la situation de l’Eglise en Afrique de l’Ouest, il convient de faire remarquer que le laïc ne s’implique pas assez dans la vie l’Eglise. Il pense que l’animation de la foi est une question cléricale. En cela, il est loin de l’ecclésiologie du Concile Vatican II qui insiste fortement sur une marche synodale par laquelle chaque membre du corps du Christ doit jouer effectivement sa partition pour le bien de tous. Comme vient de le rappeler avec force, le récent synode sur la synodalité : Mission, Action, Participation et Communion. L’heure est venue pour que le laïc se convertisse à l’ecclésiologie de foi, de communion et d’action. En cela, quatre initiatives sont prioritaires : le choix de Dieu, la créativité, le leadership et la mystique du martyre.

Le choix de Dieu doit toujours et partout être le critère des choix de vie du fidèle laïc du Christ dans un contexte obscurantiste, philosophique et théologique où les orientations idéologiques sont en déphasage permanente avec l’authenticité de la foi chrétienne. Dans ce contexte, il convient qu’il n’oublie pas que son horizon d’action doit reposer sur le prérequis de la foi capable d’illuminer sa personne et sa mission au sein de l’Eglise et de la société. Cette mission n’est pas à inventer. Elle est celle ordonnée par le Christ lui-même : Être saint pour sanctifier la terre en étant sel et lumière en son sein. En cela, le fidèle laïc a besoin de créativité inspirée par l’Esprit Saint.

Elle est la dynamique d’action qui aide le laïc à prendre non seulement au sérieux l’ordre du Christ, mais aussi à répondre à l’ordonnancement de son Père à prendre en charge le créé. Ce n’est pas pour rien que le Créateur mit entre les mains de l’homme le jardin de la terre pour qu’il puisse le cultiver (Cf. Gn 1,15). Ce faisant, il attend de lui des initiatives pouvant l’aider à porter des fruits. La participation concrète du laïc aux enjeux d’évangélisation de l’Eglise, au prophétisme pour la culture de la vie, à l’engagement pour la justice sociale et au développement intégral, solidaire et durable en sera l’illustration. Sans cette participation, le pasteur risque de prêcher dans le vent.  Même si tous les laïcs ne se décident pas à entrer dans cette mouvance, il convient que certains parmi eux assurent ce leadership dont l’Eglise a besoin pour sa représentation sociale et sociétale.

Le leadership est une sorte de main tendue pour aller de l’avant dans les initiatives que l’Eglise prend et assume au nom de l’Evangile de la foi, de l’amour et de la vie. Dans le monde de l’enfance, de la jeunesse, de l’administration et de la politique, on doit pouvoir compter sur certaines figures de proue capables de dynamiser les autres. En cela, la compétence et le volontariat peuvent être des atouts et des critères décisifs. Ce qu’on peut attendre de ces leaders est qu’ils puissent défendre les valeurs évangéliques même au prix de leurs vies. C’est l’expérience du martyre.

L’expérience montre, en effet, que le choix de Dieu et d’une vie fidèle à la foi ne sont pas sans représailles de la part de ceux que la présence et la mission chrétienne dérangent. Ils voudront menacer ou faire taire les Apôtres de la Vérité. Jérémie et Jean-Baptiste en ont subi le sort. Les martyres d’Ouganda aussi. Mais, plus que tous, c’est le Christ qui en a payé le grand prix. Lui-même savait que la mission confiée aux Apôtres ne se passera pas de la croix. C’est pourquoi, il leur disait : « Dans le monde, vous connaîtrez des épreuves. Mais courage, j’ai vaincu le monde » (…). Par ailleurs, il ajoute : « Je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (…). Il garantit aussi l’issue finale du combat quand il déclara : « Qui perd sa vie pour moi et pour l’Evangile la retrouvera » (…). L’option pour le Christ ne sera pas sans expérience de martyre. Mais plus le martyre est accueilli avec amour, plus il devient motif de joie. Le fidèle laïc ne doit pas sortir de la mêlée quand il lui semble que sa prise de position gênera l’intérêt mondain des autres. Il doit rester au poste jusqu’au bout. C’est cela la preuve de sa foi. Et c’est aussi cela le lieu de son témoignage. L’Eglise a besoin de ces témoins pour porter plus loin sa voix. En d’autres termes, un printemps est attendu dans l’évangélisation en Afrique de l’Ouest.

Conclusion

On ne peut parler de cette attente et prétendre conclure. La voie est ouverte et offerte. Vivement que les laïcs se grouillent pour porter l’espérance de la foi et du développement en Afrique afin de participer réellement au creusement des sillons d’une histoire plus saine et sanctifiante.

X François G. GNONHOSSOU, sma                        

                                                             Évêque de Dassa-Zoumé

Rev. Fr. George Nwachukwu