Dans le cadre du pèlerinage national organisé par la Conférence Episcopale du Bénin (CEB) à Yamoussoukro en Côte d’Ivoire, Mgr François G. GNONHOSSOU, évêque de Dassa-Zoumé a prononcé l’homélie suivante le vendredi 01 Août 2025 :
Textes liturgiques: Lv 23,1.4-11.15-16.27.34b-37 ; Ps 80 (81) ; Mt 13, 54-58
Excellences et chers frères dans l’Épiscopat,
Révérends Pères Concélébrants,
Chers religieux et religieuses,
Chers frères et sœurs Pèlerins, venus du Bénin et d’ailleurs pour vivre dans la dynamique de l’Année Sainte 2025, ce pèlerinage, élément caractéristique et fondamental de ce jubilé ordinaire au rythme du thème ‘’Pèlerins d’Espérance’’, lequel thème nous a mis en marche au début de cette année civile et qui continue de raviver notre foi, je vous souhaite dans le Saint nom de Jésus, et sous la protection de Marie, Reine d’Afrique et du Bénin, une bonne fête de l’Indépendance, en ce jour, 1er août 2025 où nous célébrons le 65ème anniversaire de l’accession de la République du Bénin à l’indépendance.
Et comme Dieu fait tout concourir au bien de ceux qui l’aiment et mettent leur foi et espérance en lui, il est important de remarquer le signe providentiel de l’heureuse coïncidence de ce temps de pèlerinage de l’Église famille de Dieu au Bénin avec notre fête nationale. Depuis le 1er août 1960, nous sommes entrés dans une nouvelle page de l’histoire de notre pays, notre accession à la souveraineté internationale qui marque donc notre indépendance, après de sombres et longues périodes d’esclavage et d’occupation par le colonisateur. Et cette indépendance suppose que nous nous sommes défaits des liens, des rapports qui nous sont injustement imposés par d’autres Etats qui immobilisent notre autonomie et notre auto-prise en charge. Mais malheureusement, le constat est là que cette indépendance reste verbale à plus d’un égard, car nos institutions continuent d’être subtilement commandées par ceux-là dont nous avons semblé nous affranchir. Nos options et les choix de nos dirigeants, de nos gouvernants et de nous-mêmes citoyens, mieux de toute la Nation, ne s’inscrivent pas toujours dans une perspective de liberté et d’autonomie. Aujourd’hui encore, les choix de nos gouvernants pèsent gravement et sérieusement sur le peuple dont la souveraineté est méprisée. Il peut donc être salutaire de faire un pèlerinage pour écouter la parole de Dieu, la méditer afin qu’elle nous façonne à devenir des instruments utiles à Dieu pour libérer nos populations qui ploient sous le joug des dictatures politiques, des errements religieux, et la soumission économique, des idéologies mortifères savamment conçues par les puissances étrangères et mises en exécution avec la trahison et la complicité honteuse de nos gouvernants.
Un peuple désireux et jaloux de sa liberté doit adopter des attitudes conséquentes. “Aux grands maux, les grands remèdes” dit un proverbe séculaire. Ce proverbe nous enseigne que face à des problèmes graves et importants, il faut prendre des mesures proportionnelles, fortes et décisives. Les moyens pris pour atteindre un objectif doivent être suffisamment motivés par le courage et le désir imparable de liberté à tout point de vue. A voir les choses de près, nous avons l’impression que nous crions indépendance sans jamais prendre les moyens pour la conquérir, sans la désirer en toute vérité. La preuve en est que nous sommes toujours assujettis par un système de politique de mains tendues qui nous maintient dans une dépendance vis-à-vis du colonisateur et de ses valets locaux. Nous préférons oppresser nos compatriotes dans le seul but de satisfaire les intérêts des Occidentaux. Nos ressources naturelles sont vendues et exploitées anarchiquement avec la complicité des gouvernants. Nos institutions régionales au lieu de promouvoir la fraternité, la cohésion, la paix entre États par une politique de solidarité se laissent plutôt manipuler, téléguider par un système d’autodestruction au grand profit des Occidentaux. Comment comprendre que depuis quelque temps le Bénin soit utilisé pour se déstabiliser et déstabiliser d’autres États avec lesquels nous partageons l’histoire et un destin de proximité, socio-économique et social ? Si vraiment nous sommes épris de notre liberté, nous avons encore du pain sur la planche et du chemin à faire pour y parvenir. Car la plupart de nos Etats restent encore sous la forte domination du maître de la colonisation. Heureusement qu’un nouveau soleil se lève ici et là pour nous faire prendre conscience de la possibilité et de la nécessité de sortir de cet engrenage qui empoisonne la vie économique, sociale et politique de nos pays.
Ce nouveau soleil, ce sont les voix prophétiques des fils de l’Afrique. Ce sont les voix des jeunes visionnaires qui rêvent d’une Afrique libre, des intellectuels honnêtes qui dénoncent la corruption, des évêques et prêtres qui appellent à la justice, des journalistes qui risquent leur vie pour la vérité. Mais sont-elles écoutées ? Ne subissent-elles pas plutôt le sort du « prophète méprisé dans son pays et dans sa propre maison », tel qu’en parle Jésus dans l’évangile : « Un prophète n’est méprisé que dans son pays et dans sa propre maison. »
Les voix prophétiques d’Afrique dénoncent le néocolonialisme politique, économique et culturel. Elles appellent à une vraie libération, à une souveraineté réelle. Elles réclament une économie au service de l’homme africain, une éducation enracinée, une justice équitable. Mais que leur répond-on ? On les marginalise, on les exile, on les étouffe, on les emprisonne, on les réduit au silence, parfois on les élimine. Pourquoi ? Parce qu’elles osent dire la vérité qui dérange. Parce qu’elles veulent guérir un peuple malade de soumission servile, d’esclavage, de dépendance mentale et structurelle.
Jésus n’a pas fait beaucoup de miracles à Nazareth, à cause de leur manque de foi. Pas à cause d’un manque de puissance divine. Mais parce que leurs cœurs étaient fermés. Et nous ? Pourquoi l’Afrique, si riche en ressources naturelles, humaines et spirituelles, est-elle toujours à la traîne ? Pourquoi tant de pays africains, malgré des décennies d’indépendance, restent dépendants, pauvres, endettés ? Parce que nous ne croyons pas en nous-mêmes et que nous méprisons ceux qui parmi nous voient loin, qui parlent vrai, qui appellent à une conversion profonde. Le miracle du développement ne viendra pas sans foi. Pas sans cette foi active qui écoute les voix prophétiques, qui ose remettre en cause les systèmes corrompus, les élites complices. Il est temps, frères et sœurs, que l’Afrique reconnaisse ses prophètes. Ne soyons pas comme Nazareth. Il est temps que nos gouvernants écoutent ceux qui dénoncent les pactes injustes, les accords mortifères. Il est temps qu’oreille soit prêtée aux voix lucides, aux veilleurs, aux éveilleurs de conscience. Il est temps que les jeunes africains se lèvent, non pas pour fuir le continent, mais pour bâtir une nouvelle société.
Seigneur, ouvre nos yeux aux signes de ton Esprit.
Seigneur, ouvre nos oreilles à la voix de tes prophètes.
“Et il ne fit pas beaucoup de miracles à cet endroit-là, à cause de leur manque de foi en lui. Ce manque de foi des habitants de Nazareth, ville d’origine de Jésus, les a empêchés de contempler sa gloire, celle de son identité divine. Celui qui n’a pas cru ne peut pas voir la gloire de Dieu. Les mauvais choix que l’homme fait au quotidien entravent inévitablement la manifestation des effets du salut dans sa vie. Rappelons-nous l’histoire des deux larrons crucifiés avec Jésus. Le premier, par son arrogance, son refus de croire en la miséricorde que seul Dieu peut offrir, s’est lui-même fermé la porte du paradis. Contrairement, le second, par une attitude d’humilité, de foi et de confiance en Dieu, a reconnu sa faute, confessé la divinité de Jésus, imploré la miséricorde de Dieu et par conséquent joui de la félicité céleste : C’est pourquoi il est communément appelé le bon larron. Le manque de foi met simplement à mal les bienfaits de Dieu dans notre vie. Si la recherche de la liberté pour nous-mêmes d’abord et nos institutions entraîne des exigences dont nous avons parlé plus haut, de la même manière l’accès au salut éternel porte aussi les siennes.
Pour ce qui est de l’ordre de la relation à Dieu dont la miséricorde se manifeste étonnamment pour l’homme, la foi reste une disposition immanquable dont on ne peut se passer. D’ailleurs, à plusieurs reprises, Jésus a dit aux malades et aux bénéficiaires de la grâce divine : “Ta foi t’a sauvé”. C’est la foi qui sauve et c’est pourquoi sans cette dernière, il ne peut y avoir de miracles. Autant, le progrès n’advient pas sans la liberté des institutions d’un Etat, autant nous ne saurions jouir des effets du salut de Dieu – miracles, guérison, délivrance – sans la foi qui est notre adhésion intérieure qui rend tout possible pour nous. Que les mérites de cette Eucharistie ravivent notre foi et la fassent grandir. Que la Vierge Marie, modèle de la foi, prie pour et avec nous. Qu’elle intercède pour notre chère Nation le Bénin et les autres pays africains ! Nous voudrions être un peuple vraiment libre ; un peuple debout ; un peuple prospère ; n peuple dans la paix.
Ainsi soit-il !
Le Seigneur soit avec vous !
+ François G. GNONHOSSOU, sma
Évêque de Dassa-Zoumé


