INTRODUCTION
Trente-cinq (35) années après l’avènement du multipartisme en Côte d’Ivoire (1990-2025), et en ce Temps de grâce du Jubilé de l’espérance, vos frères, les Archevêques et Évêques s’expriment par cette lettre pastorale à quelques mois de l’élection présidentielle, après le message adressé à la nation, le 28 mars dernier.
Poussés par la vive sollicitude de renforcer l’unité nationale par la prière et l’action, les Archevêques et Évêques estiment qu’il est plus que jamais urgent, que la Côte d’Ivoire jouisse d’une stabilité par une élection juste, transparente, inclusive et apaisée.
Dans l’intention de confirmer les appels et recommandations du passé et de les mettre à jour, la Conférence des Évêques Catholiques de Côte d’Ivoire, (CECCI) face à la météo politique du moment, par cette lettre pastorale, présente des indications issues de réflexions et des lignes d’action en vue de préserver la paix si chère à tous.
2. Dans ce but, il est bien de rappeler que les élections constituent un baromètre social important pour tous les systèmes démocratiques. Régulièrement, depuis l’indépendance, la Côte d’Ivoire a enregistré de nombreuses expériences électorales. Mais ces expériences n’ont pas été toujours rassurantes surtout, à partir de l’ouverture à la concurrence interne au parti unique, puis au pluralisme politique. Ainsi, au fur et à mesure du développement des processus électoraux multipartites et concurrentiels, des tensions, voire des crises profondes surgissent lors des différentes périodes électorales. Les élections sont devenues des occasions de mise en danger de la société. Au regard de cette situation générale, la question fondamentale qui se pose est celle-ci: Dans quelles mesures des élections de qualité peuvent-elles conduire à une société de qualité, c’est-à-dire débarrassée des pesanteurs qui mêlent l’amour à la haine et qui favorisent le plein épanouissement humain, spirituel, politique et économique ?
3. Les Ivoiriens sont en attente d’une élection de qualité organisée par des institutions et des hommes de qualité. S’agissant de la qualité des élections, il faut entendre, d’abord, qu’elle soit paisible, c’est-à-dire être avant tout sans violences, conforme au droit et à l’éthique ; ensuite, qu’elle respecte scrupuleusement les principes de l’universalité que sont la liberté, l’égalité, l’équité, la transparence, l’inclusivité, la sincérité et la régularité. Enfin, que ces principes soient reconnus tels que stipulés dans l’Enseignement social de l’Église comme des fondements incontournables de la vie démocratique authentique.
4. Ce type d’élection est réalisable en Côte d’Ivoire. Il est temps de se mettre résolument en quête d’une élection présidentielle de qualité c’est-à-dire une élection apaisée et réussie de bout en bout. Telle est la conviction qui se matérialise dans la présente lettre qu’il plaît aux Archevêques et Évêques Catholiques de Côte d’Ivoire d’adresser à toutes les populations de Côte d’Ivoire désireuses de Fraternité, d’Amour et de Paix (Fratelli Tutti, n˚ 284).
S’il est vrai que la Côte d’Ivoire est un pays gouvernable, la seule manière de le concrétiser, c’est de le réaliser par le moyen d’une élection juste qui demeure dans les démocraties modernes, un facteur de régulation sociopolitique et de paix. L’élection, en cela, constitue un pilier essentiel de la démocratie qui, en retour, doit la renforcer. Qui parle d’élection parle de liberté et il n’existe pas de liberté sans vérité.
Pourquoi l’élection d’un Président de la République, qui est un moment de mobilisation, d’expression de la démocratie et de la participation à la vie politique, fait-elle penser à un moment d’aveuglement collectif par la fréquence et la gravité des conflits multiformes, des violences et des crispations prononcées qui l’accompagnent? Pourquoi, les Ivoiriens et les Ivoiriennes n’arrivent-ils pas, jusque-là, à se départir de ce qui entache l’harmonie et la fraternité ?
En effet, en 2000, 2010 et 2020, tous les acteurs politiques n’ont eu de cesse de proclamer les idéaux démocratiques, alors que dans les faits, c’est la violence qui a, chaque fois, prévalu. Partout, les crises à répétition, les violences, les fraudes, la corruption, l’exclusion, soutenues par des porteurs de trompettes de Jéricho ethno-tribales, assombrissent l’ambiance électorale.
Doit-on désespérer des élections démocratiques dont la Côte d’Ivoire démocratique ne saurait se passer ? Ou bien doit-on douter seulement de la qualité des acteurs politiques qui, consciemment ou non, cherchent à altérer le sens et la pratique de la démocratie dont ils savent qu’ils reposent sur des normes juridiques et sur des valeurs philosophiques, morales et éthiques ?
Notre rapport à la démocratie, et spécifiquement aux élections, mérite une attention renouvelée parce qu’il s’y pose incontestablement des problèmes individuels et collectifs en matière de culture démocratique. Car, en tant que processus historique, la démocratie crée et installe les populations dans une culture démocratique qui passe par l’organisation d’élections justes, transparentes et apaisées. Acquérir la culture démocratique et s’employer à la vivre durablement en pleine conscience, telle nous semble la voie qu’il nous revient d’explorer dans un pays multiethnique, multireligieux et caractérisé officiellement par un taux relativement élevé d’analphabétisme, d’étrangers et surtout de pauvreté.
La Côte d’Ivoire peut raisonnablement et pratiquement surmonter les nombreux problèmes qui impactent négativement la vie et affectent l’État de droit, la liberté, l’égalité, la justice, la paix. Ce pays dispose de leviers juridiques, traditionnels, éthiques et spirituels pour faire l’expérience d’une élection présidentielle apaisée et réussie de bout en bout. Il suffit, pour y parvenir, de le vouloir en acceptant, volontiers, de porter sur les malentendus, les pesanteurs et sur toutes les zones d’ombre, la lumière d’un dialogue de vérité, porteur de solutions consensuelles. La préservation du tissu social et de la paix commande et privilégie cette approche que nous, Archevêques et Évêques Catholiques de Côte d’Ivoire, conseillons et encourageons ; car seule la vérité fera des fils et filles de ce pays des hommes et femmes libres (cf. Jn 8,32). Nul n’a intérêt à instiller dans le champ social le doute, la peur et la désespérance.
Le moment est venu, pour tous les leaders politiques qui aspirent à diriger la Côte d’Ivoire de penser la paix. Le défi pour toute communauté humaine désireuse de paix, c’est de réunir les conditions optimales de paix.
Le moment est venu pour nos leaders politiques qui aiment tant la Côte d’Ivoire de prendre, avec foi et engagement, des mesures et dispositions courageuses, au nom de Dieu, au nom de la Côte d’Ivoire, afin de faire régner la paix dans la vie quotidienne, dans les paroles et les actes publics ou privés. Il est donc temps, pour nous tous, de donner à la paix les chances de se manifester en nous et autour de nous, avec foi et humanité, en posant les bases d’une vraie paix, comme nous le rappelait le Pape Jean XXIII : « La paix se construit dans la vérité, la justice, l’amour et la liberté. » (Pacem in Terris, n˚38).
C’est dans cette perspective et par amour pour tous nos frères et toutes nos sœurs que nous, Archevêques et Évêques Catholiques de Côte d’Ivoire, toujours très attentifs aux pulsations de la société, au climat de crispation et à l’ambiance délétère qui se dégage de l’espace politique, consécutivement à l’absence de dialogue porteur de consensus salutaire, nous autorisons à vous adresser la présente lettre pastorale.
Dans cette démarche, on jettera d’abord un regard sur les facteurs qui ont une influence sur les jeux électoraux (I), pour examiner les principes électoraux à préserver pour la crédibilité du scrutin et une élection apaisée et réussie (II), interpeller et donner des recommandations par des propositions concrètes pour le maintien de la stabilité de la nation et la dignité de la personne humaine (III).
LE CONTEXTE SOCIO-POLITIQUE ET JURIDIQUE
Avec l’instauration du multipartisme et du pluralisme politique, les élections semblaient, de toute évidence, redevenues concurrentielles ; elles représentaient la principale source d’acquisition de la légitimité. La promotion des droits de l’Homme, dans un monde tourné vers l’exigence de l’État de droit, a fait des élections le seul mode admis d’accession au pouvoir politique ; elles sont l’expression des libertés. Et par ailleurs, tous les acteurs et les observateurs, tant nationaux qu’internationaux, en font une question fondamentale dans l’enracinement de la démocratie dans les États d’Afrique.
Mais, si ce mode de désignation des gouvernants a reçu l’assentiment de tous, et a été accueilli avec autant d’enthousiasme que de ferveur, le contexte politique et juridique ivoirien rend difficile, voire impossible le service public électoral. Le processus électoral, en Côte d’Ivoire, est marqué par une sorte de flux et de reflux caractérisé par l’amateurisme de l’administration électorale, la fraude et la violence, qui alourdissent le climat social et politique.
La concurrence électorale reste de forme ; elle réduit ainsi l’idée d’élection à sa plus simple expression et pose, du coup, d’énormes défis quant à la stabilité politique et sociale de la Côte d’Ivoire. La corruption, la fraude électorale, la violence sous toutes ses formes, plombent les processus électoraux au point de remettre en cause la démocratie. Le pape François, dans Fratelli tutti (n° 157), met en garde contre de telles dérives : « Lorsque le pouvoir devient domination, arrogance et imposition de son propre intérêt, il ne construit pas une société, mais la détruit. »
L’espoir d’un avenir prometteur a cédé le pas au désespoir d’un champ politique en ruine tant et si bien que l’organisation d’élections laisse planer de sérieux doutes quant à la sincérité des scrutins. La réalité des processus électoraux fait peser sur les populations, en Afrique et, notamment, en Côte d’Ivoire, une atmosphère lourde, parfois difficile à surmonter. L’interaction entre les normes, les acteurs et les institutions n’est pas toujours linéaire. Cette situation, bien souvent, est porteuse de germes de crises et de violences, à la fois, dans les phases préélectorales, électorales et postélectorales. Face à de telles dérives, la Doctrine sociale de l’Église invite à une participation active, informée et responsable des citoyens à la vie politique.
Pourtant, le Code électoral montre le chemin, la manière de s’y investir, le rythme à observer, le traitement des résultats. Il se trouve que ce parcours s’opère différemment par de nombreux acteurs politiques.
Il est donc important, pour avoir une bonne compréhension des dynamiques politiques en Côte d’Ivoire, et plus encore des processus électoraux, de procéder à une bonne analyse mettant en évidence plusieurs matières relevant des sciences sociales. Certes, le Droit semble être au-devant des enjeux qui entourent la question électorale, mais la matière électorale n’est pas que juridique ; elle est aussi politique, sociologique, philosophique, géographique, ethnique, éthique, morale et psychologique. Le constat que fait tout le monde, c’est que les élections, en Côte d’Ivoire, sont très régulièrement affectées par des irrégularités et surtout par la violence. Cela donne le sentiment que la conquête du pouvoir politique se joue en dehors des règles établies. La culture électorale ne semble donc pas encore avoir été suffisamment établie, ou elle est insuffisamment assimilée dans ce pays.
Plusieurs caractéristiques de la société ivoirienne exercent une influence positive ou négative sur la nature démocratique, pacifique et éthique des processus électoraux observés depuis le retour ou l’établissement du multipartisme, en avril 1990. En guise d’illustration, nous avons retenu quelques-unes des caractéristiques les plus pertinentes. Il s’agit, notamment, de la faiblesse de la culture politique et démocratique, de l’inefficacité de la société civile, des problématiques liées à la démographie, de la corruption, et de la posture des médias qui oscillent entre militantisme et professionnalisme. L’accumulation de tous ces facteurs concourt à provoquer des cycles de violence politique.
La faiblesse de la culture politique et démocratique
La culture démocratique est un principe essentiel pour la démocratie et pour les élections. On a donc pu penser que la culture politique des Ivoiriens avait commencé à se forger avec l’élection. En effet, « la pluralité des candidatures aux élections a eu pour conséquence l’éveil de l’esprit juridique des individus : la législation électorale a été étudiée dans ses moindres détails, le passé des candidats recherché avec détermination pour les contestations éventuelles », écrit un spécialiste des questions électorales au début du pluralisme politique. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. En revanche, ce qui prévaut, c’est la faiblesse de la culture politique et démocratique.
Si l’on appréhende la culture constitutionnelle comme « la résultante commune et en particulier, l’abri de tous les principes et règles en matière de protection des droits de l’homme […]», la faiblesse de la culture constitutionnelle est à comprendre comme une conséquence de la faiblesse de la culture politique et démocratique.
De l’inefficacité de la société civile
La société civile est appréhendée comme « un ensemble de citoyens sans fonctions politiques officielles, agissant individuellement ou en groupes et dont l’activité est essentiellement apolitique, à but non lucratif et bénévole ». Cette définition est pratiquement la même que celle donnée par le rapport du Haut-Commissariat des Droits de l’Homme, à la différence qu’elle insiste sur le fait que la société civile doit « défendre des intérêts, des objectifs ou des valeurs compatibles avec les buts des Nations Unies ».
Le pape Benoît XVI, dans Caritas in veritate, rappelle que la société civile est un espace indispensable pour la formation à la solidarité et à la subsidiarité (n° 11). Elle participe à la réalisation du bien commun par l’engagement désintéressé de ses membres, à condition qu’elle ne soit pas instrumentalisée politiquement (cf. Compendium, n° 418).
Les acteurs de la société civile, quoique n’exerçant pas de fonction politique, influencent, de façon variable, mais sans aucun doute, les décisions politiques et des actions politiques.
Les problématiques liées à la démographie
La Côte d’Ivoire est un pays dont le peuplement et la population donnent lieu à des débats concernant les origines diverses des populations et à leur influence non négligeable sur le jeu politique, notamment, les questions électorales. Toutes ces problématiques conduisent à des difficultés liées à une politique d’identification des populations et à une politique d’immigration ; à la méconnaissance de la recomposition du paysage humain et de son instrumentalisation en Côte d’Ivoire, effectuée sur la base des présupposés ethnosociologiques structurant l’arrière-plan de la quête du pouvoir d’État.
Ces difficultés, nombreuses et variées, sont visibles à travers les défaillances de l’état civil et de l’identification des personnes en Côte d’Ivoire, ces défaillances ont inévitablement un impact sur la confection de la liste électorale. Toutes ces difficultés ou négligences posent l’épineux problème du vote des étrangers en Côte d’Ivoire.
Le phénomène de la corruption
La corruption est définie comme étant « un pacte secret, un concert frauduleux dissimulé. Il est donc difficile de se faire une idée relativement précise du phénomène de corruption ». De ce point de vue, on peut comprendre qu’elle demeure souvent difficile à détecter. Cependant, de nombreux faits et actes renforcent la perception d’une corruption rampante ; deux exemples : les 18 milliards de FCFA de l’Union Européenne ; l’État de Côte d’Ivoire a perdu en 2019 environ 1400 milliards de FCFA en tant que phénomène qui imprègne plusieurs secteurs de la société et n’épargne pas la vie politique.
À ces faits délictueux, s’ajoutent d’autres, tout aussi graves, tels que le détournement de fonds, le blanchiment d’argent et les grands trafics de drogue.
Tout ou presque tout devient monnayable, le mariage, la nationalité y compris l’intégrité des parties prenantes au processus électoral, à tous les niveaux. Le non-plafonnement des dépenses des candidats lors des scrutins ouvre la porte à des abus régulièrement dénoncés, mais peu documentés.
La corruption économique installe une grande partie de la population dans les dispositions d’une corruption morale ou de précarité morale.
L’on aurait pu s’attendre à ce que la société civile et les médias fassent preuve de professionnalisme pour dénoncer ces tares. S’agissant des médias, nous constatons que certains sont eux-mêmes portés par un esprit de militantisme politique qui, sur bien des plans, altère leur qualité première : le professionnalisme.
1.5. Les médias entre militantisme et professionnalisme
19. L’environnement médiatique est souvent caractérisé par des médias publics sous emprise du pouvoir, quels que soient le régime en place et les médias privés; ils sont plus militants que professionnels.
Par leur positionnement, certains médias et journalistes en Côte d’Ivoire foulent aux pieds le code d’éthique et de déontologie de la presse. Que ce soit dans les médias classiques, télévision, radio, presse écrite ou à travers les publications sur Internet, ils diffusent des contenus susceptibles de mettre à mal la paix sociale.
Comme on le constate, certains journalistes s’éloignent peu à peu de leur rôle essentiel d’informateurs dans les règles de l’art pour se retrouver dans la peau de militants de parti politique. Ils apparaissent quelquefois comme des agents qui suscitent ou qui aggravent la violence physique, la violence verbale, la violence politique et intercommunautaire dans le pays.
Les cycles de violence politique
20. De 1990 à 2020, la Côte d’Ivoire a été le théâtre de violences politiques et intercommunautaires liées aux élections. Voici un aperçu chronologique des événements marquants de cette période :
La toute première élection présidentielle après le retour du multipartisme en 1990
La Côte d’Ivoire a connu des tensions et des affrontements entre partisans de différents candidats. Lorsque la question avait été soumise à l’appréciation du juge constitutionnel par le candidat du Front Populaire Ivoirien (FPI), la réponse donnée n’a pas manqué de surprendre. En effet, le juge constitutionnel avait conclu ceci : « L’enquête diligentée immédiatement à la suite des faits …qu’au cours des opérations de vote, de nombreux incidents et actes de vandalisme ont été commis par des personnes se réclamant du Front Populaire Ivoirien (F.P.I.) dont le requérant lui-même est le Secrétaire Général ». Le fait important à retenir est que le juge lui-même reconnaît qu’il y a eu violence électorale.
L’élection présidentielle de 1995
Cette élection n’a pas été épargnée par la même spirale de violence. Pour preuve, plusieurs évènements meurtriers ont émaillé cette élection, laissant une marque indélébile dans l’histoire du pays. Parmi ces évènements, les plus notables ont été les violences communautaires dans tout le pays, des attaques politiques entre les partisans du parti au pouvoir et ceux de l’opposition. On retient surtout le « boycott actif » initié par le front républicain composé, à l’époque, du Rassemblement des Républicains (RDR) et du Front Populaire Ivoirien (FPI). Nous avons assisté à deux périodes qui constituent pour la première, un véritable moment de conquête violent du pouvoir (coup d’État de décembre 1999) et pour la seconde, une dévolution chaotique à la suite d’une élection calamiteuse (la crise post-électorale d’octobre 2000 et celle du 14 janvier 2001).
À la suite du coup d’État militaire de décembre 1999 qui avait mis fin au régime du Président Henri Konan BÉDIÉ, un processus électoral a été enclenché. Ce processus, censé déboucher sur le rétablissement normal du mode d’accession au pouvoir, a été marqué par plusieurs actions qui ont favorisé les tensions. Les faits suivants ont été déplorés : la modification tardive des conditions d’éligibilité tenant à la nationalité, l’élimination de certains candidats dans la phase du contentieux d’éligibilité et la confusion lors de la proclamation des résultats provisoires et définitifs. Les conditions d’une crise profonde étaient ainsi réunies. Les affrontements généralisés et sanglants ont fait de nombreux morts. Cette crise a eu des prolongements malheureux sur les élections législatives de 2001 qui ont été l’occasion de graves violences.
1.6.3. La rébellion armée de septembre 2002
23. La crise politique de 1999 à 2000 a été amplifiée par des revendications identitaires. Certains leaders politiques ont pris argument de la situation qui prévalait pour déclencher une rébellion armée. Celle-ci a eu pour conséquence la scission du pays en deux zones géographiques dans un contexte d’extrême violence.
Ces violences politico-militaires ont eu un impact significatif sur le fonctionnement des institutions. À ce propos, le Conseil constitutionnel ivoirien a fait constater qu’il n’était ni possible d’engager ou de poursuivre une révision constitutionnelle, ni de procéder à une consultation du peuple sur tout ou partie du territoire.
24. En outre, on a assisté à un contentieux d’éligibilité exceptionnel en 2009. En effet, au lieu d’avoir pour référence les dispositions constitutionnelles sur l’élection, la résolution de ce contentieux a eu pour fondement légal les conclusions de l’accord politique de Linas-Marcoussis et des arrangements subséquents. Ces arrangements politiques sont en eux-mêmes révélateurs d’un constitutionnalisme d’exception, c’est-à-dire résultant de procédure et de contenu en marge de la Constitution (qui est de l’ordre normal des choses), et même dérogatoire à la Constitution. La crise postélectorale de 2010-2011 est visiblement le prolongement et le paroxysme de la violence électorale.
Considérée comme une étape cruciale pour la sortie de crise, l’élection présidentielle de 2010 a conduit à une grave crise postélectorale sans précédent. Les partisans de Laurent Gbagbo et ceux d’Alassane Ouattara se sont violemment affrontés, entraînant la mort de plus de 3 000 personnes. La situation a été si critique que la Côte d’Ivoire a vécu une guerre civile. L’un et l’autre ont été successivement déclarés vainqueur sur la base d’arguments juridiques différemment construits, par la même institution, l’un, sur un décompte des voix et l’autre, sur une inspiration du droit international supposé supérieur au droit national.
1.6.4. L’élection présidentielle de 2020
L’élection présidentielle d’octobre 2020 a aussi été marquée par des violences politiques et intercommunautaires.
Pendant cette crise, ce sont plus de 85 personnes qui ont été tuées lors des affrontements entre partisans de l’opposition et ceux du parti au pouvoir. Sans occulter le fait que les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive pour disperser les manifestations de l’opposition, entraînant à l’occasion, la mort de manifestants comme précédemment indiquée.
Ces événements tragiques montrent l’importance d’un processus de conquête du pouvoir par des voies pacifiques et démocratiques.
Si en 2015, il n’y a pas eu de violences électorales, c’est en raison de la fatigue entraînée par les multiples crises que le pays a connues les années précédentes. C’est également en raison de la forte coalition politique formée par deux des trois grandes formations politiques (RDR et PDCI-RDA) en l’absence du FPI dans l’arène politique.
En effet, il importe de relever que les violences vécues jusqu’alors entraînent et entraineront pour longtemps des répercussions sur d’autres secteurs de la vie en Côte d’Ivoire. C’est dans un tel contexte, marqué par tous ces facteurs défavorables évoqués ci-dessus, que se déroulent les processus électoraux qui ne respectent pas toujours les normes juridiques.
Les règles applicables et les faits relevés dans le contexte national du scrutin ont été examinés pour indiquer la nécessité d’en arriver à un projet commun valorisant l’organisation de l’élection présidentielle d’octobre 2025 en la hissant au niveau des élections apaisées et réussies avec « zéro mort ». Pour ce faire, il y a des impératifs juridiques, éthiques et philosophiques auxquels chacun doit être attentif. Car ce sont les sources des principes électoraux à préserver pour réaliser la crédibilité du scrutin en bonne conscience et en bonne intelligence. Rien ne vaut la paix d’une nation ; or, « Le respect des droits fondamentaux est la condition de la paix intérieure et extérieure » (Compendium, n°157).
II . DES PRINCIPES ÉLECTORAUX À OBSERVER POUR LA CRÉDIBILITÉ DU SCRUTIN ET UNE ÉLECTION APAISÉE ET RÉUSSIE
2.1. Le principe de précaution
28. Le principe de précaution peut être ici invoqué en ce qu’il commande qu’on observe une certaine conduite qui assure la crédibilité du scrutin et nous préserve de la violence et des crises électorales. Le recours aux normes juridiques, éthiques et politiques participe de ce principe.
L’appréciation des faits au regard des normes juridiques s’entend de la qualification juridique desdits faits. Il s’agit de vérifier si les différents faits relevés précédemment sont conformes aux dispositions pertinentes des instruments protecteurs du jeu électoral.
29. Il convient de relever, à ce stade, que la règle fondamentale, qui s’impose, c’est le principe de légalité, découlant de l’État de droit et qui prescrit que la loi lato sensu doit être respectée à tout prix.
Certes, dans un état de droit et dans une situation normale, on convient qu’il faut respecter le principe de légalité. Mais dans un contexte où la paix sociale est menacée, outre les lois habituellement applicables, n’est-il pas plus commode de privilégier des solutions qui viennent en prévention des crises ? Au demeurant, le droit aussi, a pour fonction de prévenir les crises.
Après ces précisions, on pourrait distinguer deux catégories de normes, selon leurs spécificités, s’appliquant aux élections, pour préserver la crédibilité du scrutin. On met ainsi en exergue deux normes données comme principales que sont la liberté et l’égalité (1) et des normes considérées comme complémentaires ou secondaires (2).
Les deux normes principales : Liberté et égalité
30. Liberté et égalité sont les deux normes les plus traditionnellement et universellement sollicitées dans tous les systèmes électoraux. Elles ont pris naissance dans les pays de démocratie avancée et se sont étendues à l’ensemble des systèmes politiques qui revendiquent la démocratie.
Le législateur entend ainsi leur accorder une protection particulière pour les soustraire de la merci des hommes des pouvoirs publics. Cette protection se manifeste à travers deux principes interdépendants (1), élevés au rang de normes fondamentales (2), ayant pour domaine de prédilection le jeu électoral (3) et réservé aux nationaux (4).
Deux principes interdépendants
Tous les principes électoraux sont interdépendants, mais la liberté et l’égalité le sont davantage. L’interdépendance de la liberté et de l’égalité est à la fois formelle et substantielle.
En la forme, tous les instruments associent étroitement les deux valeurs : liberté et égalité se côtoient toujours, l’une appelant l’autre et vice-versa. En d’autres termes, pas de liberté sans égalité.
Élevés au rang de normes fondamentales
La loi au sens large, qu’elle soit nationale (constitution, loi ordinaire ou règlement) ou internationale (déclarations, chartes ou conventions internationales), reconnait une place de choix dans l’ordonnancement juridique à la liberté et à l’égalité et leur confère une valeur toute particulière. La liberté et l’égalité sont des principes fondamentaux solennellement consacrés par de grands textes à la fois nationaux et internationaux et renforcés par le principe de non-discrimination.
Au plan national, on peut citer, les actes ci-après :
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 aout 1989 en donne le ton, de manière solennelle. Dès l’article premier, ce texte dispose : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ».
Ce texte, qui n’a pas été étendu aux colonies, a été consacré par certaines constitutions africaines, dont celle de la loi fondamentale ivoirienne du 3 novembre 1960.
Les deux Constitutions ivoiriennes de la deuxième et de la troisième République ont repris, avec quelques nuances rédactionnelles, la même formulation.
L’article 2 de la Constitution précitée de 2000 dispose : « tous les êtres humains naissent libres et égaux devant la loi ».
L’article 4 de la Constitution de 2016 précitée tend, quant à lui, à en réserver le bénéfice aux Ivoiriens. Il dispose en effet : « Tous les Ivoiriens naissent et demeurent libres et égaux en droit. »
Au plan international : Les instruments protecteurs des droits de l’homme reprennent la même formulation avec quelques différences rédactionnelles :
L’article premier de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) du 10 décembre 1948 dispose : « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit… »
L’article 3 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 28 juin 1981, dispose également : « toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité de la loi… » Et le texte d’ajouter « toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi. »
L’article 9 du Pacte Internationale relatif aux Droits Civils et Politiques dispose « tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne.»
33. Le caractère fondamental du principe de l’égalité se trouve renforcé par le principe de non-discrimination, en ce que celle-ci prohibe toute rupture de l’égalité.
En guise d’illustration, l’on reprendra quelques dispositions pertinentes de certains des textes précités.
Ainsi, l’article 4 de la Constitution de 2016 prescrit : « nul ne peut être privilégié ou discriminé en raison de sa race, de son ethnie, de son clan, de sa tribu, de sa couleur de peau, de son sexe, de sa région, de son origine sociale, de sa religion ou croyance, de son opinion, de sa fortune, de sa différence de culture ou de sa langue, de sa situation sociale ou de son état physique ou mental. »
L’article 7 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) se contente, quant à lui, de prescrire « … tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination. »
C’est dans ce sens que dans sa lettre, Saint Jacques insiste sur l’impartialité, dans l’agir envers les autres, en ces termes : « Certes, si vous exécutez la loi royale, conformément au texte : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, vous agissez bien. Mais si vous êtes partiaux, vous commettez un péché et la loi vous met en accusation comme des transgresseurs » (Jc 2,8-9).
Le domaine de prédilection – la compétition électorale
34. Les deux principes, liberté et égalité, trouvent leur domaine de prédilection dans les activités concurrentielles ou compétitives pour en assurer la régularité. Il en va particulièrement ainsi de la compétition électorale. C’est pourquoi les différents instruments protecteurs des droits de l’homme précités, les reprennent, les développent et les précisent.
On a ainsi, la liberté et l’égalité devant le suffrage.
Qu’il soit permis, là encore, de rapporter les dispositions pertinentes des principaux textes en la matière. Il convient d’ajouter que ces deux principes sont qu’ils occupent aussi bien le plan national qu’universel et même régional africain.
Au plan national les Constitutions précitées de 2000 et de 2016 modifiées en 2020 prescrivent respectivement en leurs articles 33 et 52 « le suffrage est universel, libre, égal et secret. »
Au plan régional africain, on rapportera :
La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples reprend la même idée en son article 13-2 : « tous les citoyens ont également le droit d’accéder aux fonctions publiques de leurs pays. »
La Charte Africaine de la démocratie des élections et de la gouvernance, datée du 30 janvier 2007, quant à elle, s’adresse directement à l’État. Elle dispose, en effet, en son article 17 : « tout État partie doit… faire en sorte que les parties et les candidats qui participent aux élections aient un accès équitable aux médias d’État, pendant les élections. »
Au plan universel : On retiendra les deux principaux instruments ci-après :
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 dispose en son article 21.2 : « toute personne a droit à accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays. »
Le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques de 1967 dispose également, en son article 25 (b) que tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables : « de voter et d’être élu au cours d’élections périodiques, honnêtes au suffrage universel, égal et secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs. »
Réservés aux seuls nationaux
Il est important de relever que les droits et libertés afférents au scrutin, particulièrement la liberté et l’égalité, sont réservés aux seuls nationaux.
Très marqués politiquement, en ce qu’ils permettent à leurs titulaires de participer à l’exercice du pouvoir d’État, ces droits ne peuvent bénéficier qu’aux seuls nationaux. C’est la raison pour laquelle ils sont dénommés civiques, qui signifie citoyen.
Ainsi, si tous les hommes bénéficient des droits civils, les citoyens, eux, bénéficient en outre de droits civiques en leur qualité de nationaux.
Les différents instruments juridiques des droits de l’homme, qu’ils soient internes ou internationaux, identifient clairement les titulaires des droits civiques par les expressions appropriées.
Ces expressions sont assez variées. En voici quelques formulations:
Tout citoyen a le droit (…) ou tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays… » (Charte africaine, art 13).
Le national a droit à accéder dans les conditions d’égalité aux fonctions publiques « de son pays » (DUDH, art 21.2).
Ou encore toute personne a droit à accéder dans les conditions d’égalité aux fonctions publiques « de son pays » (DUDH, art 21.2).
Ou encore « tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays… » (Charte africaine, art 13).
On comprend, dès lors, la portée des débats houleux en Côte d’Ivoire concernant la participation des étrangers aux élections. C’est en ce sens que le Professeur WODIÉ Francis, candidat à l’élection présidentielle de 1995, n’a pas manqué de dénoncer cette pratique dans la requête adressée le 25 octobre 1995 au Secrétariat général du Conseil Constitutionnel. Le candidat s’est plaint de « la participation massive au scrutin d’étrangers munis d’ordonnance ou même sans pièces… »
Les autres normes complémentaires
Elles sont qualifiées de secondaires, en ce qu’elles viennent compléter, développer et préciser les normes principales pour mieux en assurer le respect. Ces normes, pour être secondaires, ne sont pas moins importantes. Elles peuvent être perçues par rapport aux précédentes comme l’accessoire qui suit le principal : elles se posent comme de véritables garanties de la liberté et de l’égalité.
Les normes complémentaires ou secondaires sont relativement nombreuses, diversifiées et elles participent de la même finalité : l’expérience des processus électoraux depuis 1990 en Côte d’Ivoire n’ont pas totalement satisfait aux exigences de tous les principes ou normes. Et pourtant, il s’agit là de principes éminemment importants pour la qualité des élections et la sauvegarde de la paix sociale en Côte d’Ivoire.
Pour une élection du 25 octobre 2025 totalement différente des précédentes élections présidentielles
Il faut espérer que, pour une fois, l’élection présidentielle d’octobre 2025 se distingue radicalement des élections précédentes. C’est un moment de grandes attentes des populations quant à la régulation de la société ivoirienne au plan social, juridique, moral, éthique, politique et spirituel. Il s’agit surtout d’un engagement moral qui transparait dans les expressions qu’on utilise, de façon cumulative, en parlant des élections ouvertes (a) inclusives (b) transparentes (c), secrètes (d), sincères (e), crédibles (f), honnêtes (g) et apaisées (h), etc.
Que recouvrent ces différentes expressions dans les jeux électoraux ?
Élections ouvertes
40. Une élection ouverte est une élection à laquelle toute personne remplissant les conditions de vote peut participer, sans restriction excessive. L’expression se rapporte à l’accessibilité du vote, à la transparence et à l’équité du vote, etc. avec des règles claires et un accès égal aux informations. Dans les situations de crispation politique, certains électeurs ou certains citoyens sont empêchés d’exercer leur droit de vote et celui de se porter candidats alors que les principes de liberté et d’égalité sont proclamés. L’élection ouverte est celle dans laquelle les partis politiques, les candidats et les électeurs font preuve d’une réelle adhésion au suffrage universel.
Élections inclusives
41. Le terme « inclusion » contient l’idée d’un élargissement du cercle des électeurs et même des candidats en y adjoignant ou intégrant un groupe de personnes, jusque-là exclues du jeu électoral. L’élection inclusive ne relève strictement pas d’une règle, figurant dans l’ordonnancement juridique ivoirien. Mais c’est un principe de bon sens et de prévoyance politique qui n’a pas besoin d’être formellement écrit. C’est un principe généralement applicable dans les pays en crise réelle ou potentielle ou ceux dans lesquels la démocratie n’est pas suffisamment enracinée, comme c’est le cas encore en Côte d’Ivoire en 2025.
Élections transparentes
42. La transparence des élections est une notion récente. Utilisée en Afrique pour la première fois en 1995. La transparence c’est l’absence d’équivoque. C’est la qualité ou, plus exactement, la clarté d’un processus de dévolution électorale du pouvoir. Cette transparence doit prévaloir depuis le début des opérations électorales jusqu’à la proclamation définitive des résultats sans l’altérer ni l’abolir, ni même en déformer la portée de quelque manière que ce soit. Car la transparence traduit la volonté pure et consciente du peuple dans le choix de ses dirigeants. À l’évidence, il s’agit de ce qui laisse paraitre la réalité tout entière. En un mot, est transparent ce qui laisse voir clairement la réalité psychologique ou qui exprime la vérité sans l’altérer.
Élections secrètes concernant l’acte de vote
La notion d’élection secrète se rapporte au secret du vote qui est une garantie fondamentale de la liberté des électeurs, et qui les protège face aux pressions de tous ordres et, en particulier, de la corruption électorale. Compte tenu du caractère secret du vote, le corrupteur ne peut jamais avoir une connaissance précise du vote de l’électeur. Ramener, comme certains le faisaient, le bulletin des candidats moyennant récompense constitue un manquement au caractère secret du vote.
Élections sincères
44. La sincérité du scrutin est autant un principe général du droit électoral que le but final auquel concourent l’ensemble des autres principes et réglementations qui encadrent les élections. On peut définir la sincérité, dans le cadre électoral, comme la conformité des résultats du scrutin à la volonté réelle de l’électeur. Ce principe vise également à convaincre l’électeur que le scrutin s’est bien déroulé.
Élections crédibles
45. La crédibilité, c’est ce qui fait qu’une chose mérite d’être crue, c’est-à-dire le caractère de ce qui est convenable. La crédibilité des élections désigne ainsi une élection débarrassée de toute suspicion, et dont les différentes étapes ont été observées pour aboutir et à la validation et à la certification. C’est au vu de toutes ces étapes régulièrement réalisées qu’une élection peut être tenue pour crédible. Sur cette base, la crédibilité renvoie à la transparence, sauf que la première n’a pas la même portée que la seconde. En effet, la crédibilité semble caractériser une passivité, le constat d’une situation et s’apprécie mieux ex post, alors que la transparence s’inscrit dans un cadre plus actif, implique une action et s’apprécie ainsi ex ante, mais aussi ex post. En d’autres termes, la crédibilité est un volet de la transparence.
Élections honnêtes
L’honnêteté peut être définie au sens strict, mais aussi au sens large. Dans son sens strict, c’est la qualité de ce qui est intègre, loyal ou encore, ce qui n’autorise aucune fraude, aucune falsification. Dans son sens large, le terme désigne ce qui ne s’écarte pas de la moyenne et peut être considéré comme satisfaisant. Dans tous ses aspects, il est possible de soutenir que l’honnêteté recouvre plus une connotation morale. Elle intéresse plus les comportements que doivent observer les acteurs impliqués dans une compétition électorale que la compétition elle-même. Et, surtout, elle dilue la portée juridique d’une compétition électorale qui, appréhendée sous l’angle de la transparence, met des obligations à la charge des parties prenantes.
Élections apaisées
Les élections présidentielles en Côte d’Ivoire n’ont presque jamais été apaisées. Même celle de 2015 apparait apaisée quand on néglige le niveau de peur et de crainte qui habite les populations en rapport avec les souvenirs douloureux des élections de 2010.
Les élections apaisées se rapportent à un processus électoral qui se déroule dans un climat de paix, sans violences, sans fraudes et avec l’acceptation des résultats par les différentes parties prenantes. Pour qu’une élection soit qualifiée d’apaisée, plusieurs conditions doivent être réunies. Par exemple, un cadre légal clair et respecté, un organe électoral crédible et indépendant, une campagne électorale sans violence, une participation citoyenne libre et sécurisée, un respect des résultats, un rôle constructif des médias et de la société civile, un engagement des forces de l’ordre à la retenue et à la stricte neutralité.
En raison des crises qui ont alimenté les élections présidentielles en Côte d’Ivoire, il est important de rappeler les exigences juridiques, politiques et éthiques d’une élection apaisée.
Le Protocole a/sp1/12/01 sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance additionnel au protocole relatif au Mécanisme de Prévention, de Gestion, de Règlement des Conflits, de Maintien de la Paix et de la Sécurité de la CEDEAO (2001).
« Les organisations de la société civile intéressées aux questions électorales seront requises pour la formation et la sensibilisation des citoyens à des élections paisibles exemptes de violence ou de crise » (Article 8).
La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 28 juin 1981
« Les États parties s’engagent à élaborer les cadres législatif et politique nécessaires à l’instauration et au renforcement de la culture, de la démocratie et de la paix. » (Article 11).
De l’urgence d’une élection présidentielle d’octobre 2025 respectueuse des principes et des normes en Côte d’Ivoire
Les définitions ici données n’épuisent pas le contenu des différents concepts qui qualifient les élections. Cependant, les indications que nous fournissons ont pour objectif de comprendre ce qu’il en est d’essentiel quand on y fait allusion dans le cadre des processus électoraux.
Il faut bien insister sur le fait que les éventuelles violations de ces règles n’entament en rien leur autorité juridique et leur portée politique ; en d’autres termes, à ce qu’elles apportent pour la crédibilité d’une élection démocratique, notre pays, la Côte d’Ivoire, en a grand besoin.
Aujourd’hui l’atmosphère délétère et les crispations laissent envisager des élections non inclusives, au regard des problèmes déjà posés concernant la crédibilité de la liste électorale, l’éligibilité, la crédibilité de la CEI, un ensemble de sujets qui ne nous éloigne pas des contestations et éventuellement des violences.
Quelles solutions peut-on envisager pour surmonter sans heurts toutes ces difficultés auxquelles se trouvent confrontés les acteurs politiques ?
Ce type de situation de crispation n’est pas en soi une nouveauté dans l’histoire récente de la Côte d’Ivoire. Outre l’intérêt indéniable que présentent les solutions juridiques, il y a également la possibilité d’arrangement politique pour sauver la situation. Pourquoi ne pas recourir aux voies et aux ressources qui peuvent être encore sollicitées parce qu’elles ont pu donner des résultats qui favorisent l’apaisement ? C’est dans le sens de l’apaisement du climat social que s’inscrit notre Lettre.
Les qualificatifs ainsi énumérés, qui couvrent et parcourent tout le processus électoral, interrogent aussi bien la qualité des organismes en charge des élections que la volonté des acteurs politiques à préserver la paix sociale en ayant comme référence ce qui est bien pour tout le monde. Tous ces qualificatifs tiennent leurs forces de leur caractère complémentaire, interdépendant et cumulatif. Leur stricte observation ou application nous installent dans le cadre des normes et des principes fondamentaux applicables auxquels nous avons fait allusion pour aboutir à des élections apaisées et réussies de bout en bout.
APPELS ET RECOMMANDATIONS DES ÉVÊQUES POUR UNE ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE APAISÉE ET RÉUSSIE
Appels
« Dieu est charité et celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu et Dieu en lui… La crainte n’est pas dans la charité, mais la parfaite charité qui congédie la crainte puisque la crainte contient un châtiment… Si quelqu’un dit « j’aime Dieu » et qu’il hait son frère, « c’est un menteur » (1Jn 4,20). Nous avons reçu de Dieu ce commandement que celui qui aime Dieu aime aussi son frère ». C’est au nom de l’Amour de Dieu et des hommes que Nous, vos frères Archevêques et Évêques, renouvelons notre proximité spirituelle, morale et physique à toute la population de la société ivoirienne, à travers la présente lettre.
L’Église en Côte d’Ivoire a une vision synodale qui la décline comme « une église-communion-autonome au service de tous » et du développement intégral de l’homme à la lumière de l’évangile. Par conséquent, nous ne saurions demeurer indifférents à tout ce qui se passe en Côte d’Ivoire. Nous interpellons et restons favorables à tout ce qui devrait militer en faveur d’une société apaisée et d’une fraternité élargie et toujours ouverte et respectueuse de la dignité et des droits de la personne humaine. Aussi, nous sentons-nous interpellés par les discours, les actes et même le silence qui annoncent une ambiance susceptible d’impacter négativement la période électorale que nous abordons maintenant.
Cette ambiance délétère est porteuse d’incertitudes, d’angoisses, de craintes au sein des populations. Notre engagement spirituel et moral qui consiste à étendre le champ d’une communauté fraternelle par la force de l’Amour nous fait obligation d’appeler au partage, à la tolérance, à la justice et à la paix. Car, le nouvel ordre politique et économique qui s’installe dans le monde exige, pour nos pays déjà fragilisés par de nombreux faits d’existence, que nous soyons fraternellement soudés pour mieux en atténuer les effets. Dans cette perceptive, rien dans nos paroles et rien dans nos actes ne devrait perturber le sens chrétien de notre fraternité, de notre charité et de la paix sociale qui en découle.
Nous sommes donc invités, en cette période sensible marquée par l’élection présidentielle d’Octobre 2025, à œuvrer pour que ces idéaux se réalisent. Nous devons éviter de nous adonner aux calomnies et aux diffamations. En revanche, nous devons nous consacrer, en âme et conscience, à entretenir ce qui nous unit, à protéger ce qui nous appartient en commun, et, dans le même mouvement de pensée, à nous éloigner de ce qui sent la haine, la violence, la guerre et à préserver la sacralité, l’inviolabilité et la dignité de la personne humaine. Ainsi dans le même élan, l’apôtre Paul nous interpelle-t-il en ces termes : « Ayez un même amour, un même cœur ; recherchez l’unité ; ne faites rien par rivalité, rien par gloriole, mais avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous. Que chacun ne regarde pas à soi seulement, mais aussi aux autres » (Ph 2,2b-4).
En mettant beaucoup de soin dans les différents aspects de l’altérité et surtout dans l’amour du prochain, nous sommes assurés que les jours à venir nous ouvriront une nouvelle ère qui nous incline au renforcement de nos liens fraternels qui ne réclament que les bienfaits de la démocratie. Il faut se garder de réduire la démocratie à sa dimension quantitative et statistique ; elle repose sur des textes, des valeurs, des consensus, dans un environnement aseptisé. Telle apparait sa dimension qualitative qui appelle l’existence des Institutions de la République de Côte d’Ivoire chargées de trancher, de protéger, de conseiller, de contrôler, d’arbitrer, d’apaiser et de concilier sur la base des règles, des principes et des lois qui ne demandent qu’à être partagés et appliqués. Les fonctions des institutions telles qu’exprimées ici traduisent un impératif éthique, moral et social. Ces institutions ainsi identifiées exigent des hommes et des femmes qui les animent qu’ils aient des qualités intrinsèques qui les maintiennent à l’abri des influences politiques, ethniques, économiques et religieuses.
On a besoin de mieux connaître ces institutions pour ne pas se méprendre sur le parcours individuel et collectif de la liberté et de l’égalité, notamment, dans le cadre de ce qui nous intéresse ici, à savoir les jeux électoraux, un véritable baromètre social dans un système pluripartiste. Ce que nous devons faire, c’est de nous familiariser avec les jeux électoraux en insistant sur les meilleurs outils, instruments et mécanismes de renforcement des capacités ou d’un apprentissage indispensable. Car, figurer, par exemple, sur une liste électorale et participer effectivement au vote, marque, pour chacun de nous, la pleine affirmation de sa citoyenneté ainsi que la fierté de participer à la vie de la nation par le choix des gouvernants. À ce propos, l’Église enseigne, d’une part, que « la participation à la vie communautaire […] est un des piliers de toute société démocratique » (Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, n° 190), et d’autre part que : « Tous les citoyens doivent être conscients de leur droit et de leur devoir de participer à la vie publique » (Gaudium et Spes, n° 75).
C’est à ce titre et à bien d’autres que la période de la préparation de l’élection présidentielle de 2025 est considérée comme une période capitale au regard des enjeux qui la caractérisent. En pensant aux élections présidentielles passées depuis 1995 jusqu’à celles récentes de 2020, la question qu’on doit se poser est la suivante : Qu’avons-nous à faire, ensemble, pour éviter qu’il arrive à notre pays ce que personne ne peut lui souhaiter ? La période proprement électorale, quoiqu’intervenant, de toute évidence, avant le vote, demeure très importante sur le double plan quantitatif et qualitatif. D’abord, elle invite à des actes nombreux et diversifiés à accomplir pour garantir la sincérité du scrutin. Ensuite,elle fait appel à divers aspects techniques, juridiques et politiques. Bref, cette période préparatoire de l’élection présidentielle est très sensible parce qu’elle est révélatrice des signes de crispation. Ces signes sont eux-mêmes annonciateurs de crises profondes lorsque toutes les opérations préliminaires ne réservent aucune place à l’idée d’un dialogue politique porteur de consensus.
Au regard de ces multiples constats, il importe de mettre tous les atouts et tous les soins du bon côté pour éviter les faits susceptibles d’affecter le jeu électoral à venir. Nous pensons, à quelques points de crispation, qu’il importe de traiter avec la pleine conscience et pour la qualité de l’élection présidentielle et pour la préservation de la paix sociale. Il s’agit, principalement, d’une meilleure organisation de l’électorat concrétisée par l’établissement de la liste électorale (1), l’éligibilité à l’élection à la présidence de la République (2) ; la commission en charge de l’élection (3), de la prévoyance de la violence et de la nécessité d’une culture de la paix (4).
Recommandations
La liste électorale
Nous constatons qu’il y a, jusqu’à ce jour, absence de consensus sur la liste électorale définie, comme étant le répertoire, par ordre alphabétique des électeurs. Elle présente, à ce titre, de multiples utilités : par exemple, déterminer qui est électeur, vérifier au moment du scrutin si les individus qui se présentent sont en droit de voter ; elle détermine le nombre des électeurs et, par-là, décide du vote. Sa mise à jour régulière, selon la loi, permet d’y ajouter, outre ceux qui ont droit d’y figurer, les « nouveaux majeurs » ; de retirer ceux qui n’ont pas le droit d’y figurer. Le suffrage étant universel (Article 52 de la Constitution de 2016), tous les citoyens doivent être mis en situation de participer effectivement au vote.
Dans certains pays, l’inscription sur la liste électorale se fait automatiquement et régulièrement. Dans d’autres pays, en revanche, c’est à la demande de l’administration, comme c’est le cas de la Côte d’Ivoire, que les individus sont invités à effectuer un certain nombre de démarches pour réaliser une liste électorale, par exemple : faire le déplacement vers un lieu d’enrôlement, avoir une carte d’identité, établir et fournir un certificat de résidence, etc. se faire enrôler effectivement. En effet, le code électoral dispose :
« Tout Ivoirien remplissant les conditions pour être électeur peut s’inscrire sur la liste électorale de la circonscription électorale de son choix à condition d’y avoir son domicile ou sa résidence ou des intérêts économiques ou sociaux » (Article 9 de l’Ordonnance N° 2020-356 du 8 octobre 2020 portant révision du code électoral).
Parmi les différentes considérations attachées à la liste électorale, il convient d’en rappeler trois :
La première considération est de faire en sorte que le plus grand nombre de personnes en droit de voter figurent effectivement sur la liste électorale pour une plus grande légitimation du candidat élu.
À titre d’illustration, la Côte d’Ivoirequi compte29 389 150 millions habitants n’a que 8 761 348 millions d’électeurs inscrits sur la liste électorale selon les estimations de la CEI avant la Révision de la Liste Électorale de 2025. Quelles dispositions faut-il prendre pour accroître le nombre des inscrits sur la liste électorale pour respecter le caractère universel du suffrage. Au Ghana, un pays voisin, où la population s’élève à 34 876 683 d’habitants, on a 18,7 millions d’électeurs inscrits sur la liste électorale. La Commission Électorale ghanéenne, qui tient au caractère universel du suffrage, a pris soin d’engager une politique d’inscription continue sur la liste électorale depuis 2022 pour des élections prévues en 2024.
Cette approche à un double avantage à savoir l’inscription continue pour avoir un grand nombre d’électeurs, et le contrôle subséquent des listes électorales.
La seconde considération fait état d’une idée d’appropriation de la citoyenneté et la volonté d’un individu de participer à la vie de la nation. D’où vient-il donc qu’il existe des malentendus alors que l’Administration électorale, y compris le Gouvernement, a intérêt à établir une bonne liste électorale, condition primordiale d’une élection réussie ou perçue comme telle ?
La troisième considération tient dans la complétude et la sincérité de la liste électorale qui exige que des personnes qui remplissent les conditions d’y figurer ne se sentent pas exclues abusivement ; et que personne ne doit figurer sur cette liste en violation de la loi.
Les partis politiques ou groupements politiques et tous les organismes intéressés auxquels la Constitution confie la mission d’assurer l’expression du suffrage, sous-entendu, de formation des citoyens, de diffusion des idéaux démocratiques et de mobilisation des citoyens, ont tous intérêt, qu’ils soient au pouvoir ou par la participation du plus grand nombre de citoyens dans l’opposition, à voir notre démocratie réussir (Article 25 de la Constitution de 2016). L’élection ne doit donc pas être une occasion de participation de quelques citoyens auxquels on accorde le privilège de figurer sur la liste électorale alors que d’autres qui le méritent tout autant sont victimes d’exclusion.
Devrait-on attendre le jour du vote pour demander à ceux qui ne figurent pas sur la liste électorale de pouvoir voter avec une pièce quelconque indiquée par les autorités ?
Et pourtant des solutions juridiques et administratives existent pour aboutir à l’établissement d’une liste électorale complète, sincère et crédible.
La prévoyance des conflits électoraux commence sur le problème crucial de la fiabilité de la liste électorale. Comment parvenir à établir une liste électorale consensuelle pendant que les acteurs politiques s’entredéchirent ?
Nous, Archevêques et Évêques Catholiques de Côte d’Ivoire, invitons les acteurs majeurs reconnus par la Constitution à œuvrer à l’avancement de la démocratie en Côte d’Ivoire : que le gouvernement, la Commission Électorale Indépendante, les partis politiques, les organisations de la société civile (Article 26 de la Constitution) s’impliquent dans la réflexion et l’action en vue de trouver des solutions paisibles et consensuelles à l’établissement de la liste électorale.
L’éligibilité à l’élection à la Présidence de la République
À ce jour, les organismes en charge de l’élection présidentielle d’octobre 2025 n’ont établi aucune liste des candidats à l’élection présidentielle. Cependant, des contestations violentes s’expriment déjà au sujet de certaines personnalités susceptibles ou désireuses d’être candidates. Que ce soit le candidat potentiel du parti au pouvoir, que ce soit ceux des partis de l’opposition, le problème de leur éligibilité est ouvertement posé et alimente des chroniques de toutes sortes. Tout cela risque de constituer une cause de déflagration sociale et de conflits électoraux.
La question de l’éligibilité est très problématique et politiquement sensible en Côte d’Ivoire surtout pour les personnalités de grande influence politique. Par le passé, pour ces personnalités politiques, des dérogations ont dû être faites par le moyen d’arrangements politiques consécutifs à la crise de 2002 ou alors par une interprétation extensible de l’éligibilité par le juge constitutionnel en 2015.
Comment résoudre alors l’épineuse question de l’éligibilité des uns et des autres, de façon consensuelle ?
Pour l’élection à venir, il importe de prendre des dispositions pour prévenir tout risque de crise électorale ou post-électorale liée à cette situation.
Rappelons que dans le passé, et cela en rapport avec l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire, des solutions ont pu être trouvées à travers des arrangements, par une approche qui permet de prévenir des contentieux inépuisables.
Nous, Archevêques et Évêques Catholiques de Côte d’Ivoire, invitons les organismes en charge des élections et les acteurs politiques à aborder les choses en tenant compte du bon sens politique dans le contexte actuel, en privilégiant le recours à des arrangements. On envisagera ainsi des élections inclusives et, par conséquent, apaisées. En la matière, il y a, certes, les règles juridiques, mais il y a aussi le bon sens politique.
La Commission Électorale Indépendante (CEI)
Suite au coup d’État intervenu en décembre 1999, le pays s’est doté d’un organisme indépendant d’organisation des élections (CNE). Il était attendu de sa part, l’organisation d’élection dans les conditions d’objectivité, de compétence et d’impartialité. La CEI qui lui a succédé s’est dotée des mêmes attributions tout en étant une structure permanente.
À la pratique, des critiques nombreuses sont faites à cette structure et à ses dirigeants. On lui reproche, notamment, d’être :
Déséquilibrée, en faveur de l’exécutif et donc du parti au pouvoir (La Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples se prononçant en 2016 sur la composition de la CEI avait ouvertement mis en lumière ce déséquilibre). Cette appréciation négative est relativement ancienne ; mais le problème reste posé aujourd’hui encore par les partis d’opposition.
Sous influence politique, en raison de sa composition dominée aussi bien par les partis politiques que par les organismes gouvernementaux (Présidence, Ministères, Assemblée Nationale, Sénat).
Peu professionnelle en raison des manquements constatés lors des opérations électorales. : liste électorale truffée d’irrégularités, absence de matériels dans certains bureaux éloignés, bureaux de vote éloignés des lieux de résidence des votants, etc. Ces griefs peuvent avoir des effets sur l’efficacité même de l’organisme.
Nous, Archevêques et Évêques Catholiques de Côte d’Ivoire, invitons les partis et groupements politiques et le Gouvernement à soutenir et à rendre possible l’idée d’une structure pleinement indépendante et professionnelle.
La prévoyance de la violence et la promotion d’une culture de la paix
Tout le monde appelle à l’organisation d’une élection présidentielle apaisée. Tout le monde demande des prières pour des élections apaisées dans les églises, temples et mosquées ; car personne ne veut la violence. Il est important de soutenir, encourager et appuyer cette posture de bon sens.
La paix comme le bien le plus précieux mérite d’être cultivée dans tous les actes quotidiens des Ivoiriens et protégée comme la prunelle de leurs yeux. Elle est la condition d’une vie sociale normale. Chacun doit s’engager à la promouvoir, particulièrement en cette période de l’élection présidentielle. « En effet, qui veut aimer la vie et voir des jours heureux doit garder sa langue du mal et ses lèvres des paroles trompeuses, se détourner du mal et faire le bien, rechercher la paix et la poursuivre » (1P 3,10-11).
Nous, Archevêques et Évêques Catholiques de Côte d’Ivoire, recommandons vivement que tout ce que les acteurs politiques entreprennent soit en faveur de la paix sociale et de la stabilité. Aussi prions-nous Dieu afin que l’élection présidentielle à venir, soit totalement et positivement différente de toutes les élections passées, et nous apporte la paix, la stabilité et le développement à visage humain pour tous.
Nous invitons instamment le gouvernement, la CEI, les partis politiques, la chambre des Rois et chefs traditionnels, les responsables religieux, les femmes, les jeunes, la société civile dans toutes ses composantes, les observateurs nationaux et internationaux et tous les citoyens épris de paix, à :
Œuvrer en synergie pour vivre l’expérience d’une élection présidentielle pacifique en Côte d’Ivoire. Pour une fois, toute la Côte d’Ivoire doit être en mesure de s’approprier de bout en bout et dans la paix l’élection de ses gouvernants. Le vainqueur de l’élection présidentielle apaisée pourra ainsi recueillir la légitimité et le respect de toute la nation ivoirienne. Ce qui est de nature à faire la promotion de la gouvernance apaisée.
Œuvrer pour la promotion de la culture de la Paix, une expression née à Yamoussoukro et qui a un lien très fort avec les objectifs de l’UNESCO visant à bâtir les défenses de la paix dans l’esprit et les cœurs des hommes et des femmes. La paix doit se construire progressivement et durablement par tous les fils et filles de ce pays comme ce que l’on fait pour une plante en raison de sa fragilité, et comme ce que l’on fait pour une divinité en raison de sa sacralité. La culture de la paix est au fondement du développement auquel il permet de donner sens. C’est ce que dit Paul VI dans sa Lettre encyclique Populorum progressio : « La paix ne se réduit pas à une absence de guerre, fruit de l’équilibre toujours précaire des forces. Elle se construit jour après jour, dans la poursuite d’un ordre voulu de Dieu, qui comporte une justice plus parfaite entre les hommes » (n°76).
CONCLUSION
Par de-là les faits, les paroles et les évènements évoqués dans cette lettre pastorale, et qui ont marqué, de façon moins heureuse, la vie des populations de notre pays, nous sommes en prière afin que Dieu nous dispose à davantage de sagesse. Nous voulons sortir d’un tableau moins glorieux de la vie sociopolitique où l’on ne voit que ce qui concourt à altérer l’harmonie des populations. Nos prières à Dieu doivent nous présenter un nouveau tableau dans lequel, les élections à venir contribuent à consolider la réconciliation, la fraternité, l’amour, la liberté et la paix sociale.
Convaincus des avantages qu’on peut tirer de la démocratie bien comprise et bien pratiquée sur la base des normes et des principes, la société pourra se débarrasser de la peur, des craintes et des inquiétudes souvent liées aux élections en Côte d’Ivoire.
Nous osons espérer que pour mieux répondre aux attentes des populations, l’élection présidentielle d’Octobre 2025 sera totalement et positivement différente des élections présidentielles précédentes. Pour que notre démocratie, ponctuée par des élections régulières, ne présente plus aucun caractère clivant et négatif, il y a des efforts que nous sommes capables de faire.
Ces efforts participent du principe de précaution politique, qui met en bonne place le dialogue politique porteur de consensus dynamique. D’où l’intérêt de quelques principes de conduite morale et scripturaire enseignés qu’il convient d’observer en cette période électorale :
La règle d’or (de la réciprocité) : « Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : c’est la Loi et les Prophètes » (Mt 7,12). Cette règle de la réciprocité énoncée par le Christ est bien connue sous diverses formes, dans les civilisations antiques, l’Ancien Testament (Tb 4,15), le judaïsme rabbinique (Talmud) et le Nouveau Testament (Lc 6,31 ; Rm 13,10). Elle prône la délicatesse, la tempérance et la charité dans les relations interpersonnelles. Encore aujourd’hui, elle vaut son pesant d’or, surtout en des moments cruciaux et délicats comme celui de la période électorale où ce qui est dit ou fait est souvent motivé par des intérêts narcissiques, égocentriques, et partisans, et ne tient nullement compte des répercussions négatives et néfastes sur l’autre. Cette règle d’or invite chacun à s’interroger : accepterais-je volontiers, que soit dit de moi ce que je dis de l’autre ? supporterais-je sans réagir qu’on me fasse ce que je fais moi-même aux autres ?
Le Principe d’universalité demande ceci : « agis toujours de façon que tu puisses vouloir que la maxime de ton action devienne une loi universelle ». La loi s’impose à tout homme. Il suffit donc, pour savoir si un principe d’action est conforme à la loi morale, de réfléchir à ce qui arriverait si ce principe était universellement admis. Ce que tu appliques ou fais appliquer à autrui, aujourd’hui en étant au pouvoir, peux-tu accepter qu’on te l’applique quand tu ne seras pas au pouvoir ? Ce qui explique que dans les pays démocratiques la perspective de l’alternance politique constitue une sagesse de gouvernance.
Le Principe du respect de l’Homme enseigne : « agis de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps, comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ». L’être humain est un être de dignité dont la valeur est absolue et non relative. L’homme ne doit pas être traité comme une marchandise à travers l’achat de conscience ou comme agent de violence en période électorale. En un mot, on ne saurait faire d’une volonté humaine le simple moyen d’un avantage personnel, même pas pour prendre ou conserver le pouvoir.
Le Principe d’autonomie nous rappelle ceci :« agis toujours comme si tu étais législateur en même temps que sujet ». La démocratie exige que le citoyen soit à la fois l’auteur de la loi directement ou indirectement, et celui à qui cette loi s’applique. En d’autres termes, la moralité politique consiste, non pas simplement à exécuter la loi, mais à la vouloir, en sorte qu’on soit son propre législateur et non pas seulement un docile observateur. L’élection présidentielle offre l’occasion de cette affirmation.
En somme, la démocratie en Côte d’Ivoire doit se faire par tous les citoyens et citoyennes ; elle exige de chacun d’eux un engagement libre, sincère et effectif.
Comme nous aurions aimé que nos gouvernants entendent St. Óscar Arnulfo Romero Galdámez, Archevêque de San Salvador (1917–1980), martyr de la paix pour son peuple : « La paix n’est pas le produit de la terreur ou de la peur. La paix n’est pas le silence des cimetières. La paix n’est pas le résultat silencieux d’une répression violente. La paix est la contribution généreuse et tranquille de tous au bien de tous. La paix est dynamisme. La paix est générosité. C’est un droit et c’est un devoir » !
Donné à Abidjan, au siège de la CECCI, le 29 juillet 2025.


